Versets sataniques du Coran

L'expression versets sataniques évoque les versets du CoranSatan aurait fait dire à Mahomet des paroles empreintes de conciliation avec les idées polythéistes. Cet épisode concerne les versets 19 à 23 de la sourate 53, النَجْم An-Najm (L'étoile). Cet incident aurait eu lieu à La Mecque, huit ans avant l'hégire. L'épisode est « rapporté dans de nombreuses sources du commentaire islamique »[1].

L'expression a été inventée par Sir William Muir[2] dans les années 1850 et Salman Rushdie l'a retenue comme titre de son livre Les Versets Sataniques, ces termes renvoyant explicitement aux versets de la sourate 53.

Épisode des versets sataniques

Le terme « versets sataniques » est une appellation occidentale, inusitée dans la tradition arabo-musulmane[3].

Résumé

L'épisode des versets sataniques relate l'événement au cours duquel Satan aurait tenté de dicter des enseignements hérétiques à Mahomet. Avant de fuir à Médine, Mahomet se serait assis à proximité de la Kaaba et aurait reçu la visite de l'ange Gabriel. C'est à ce moment que Satan aurait fait dire à Mahomet « des paroles de compromission et de réconciliation »[4] en parlant de trois divinités mecquoises, al-Lat, al-Uzza et Manât : « Ce sont les sublimes déesses et leur intercession est certes souhaitée »[5]. Al-Lat, al-`Uzzâ, et Manât étaient des déesses préislamiques[6]. Les musulmans et les polythéistes se seraient alors inclinés ensemble[5].

Par la suite, cette révélation aurait été rectifiée et abrogée par celle du verset 52 de la sourate 22[5]. Ces versets prennent le nom de « satanique » en raison du verset précédemment cité, que les exégètes ont rattaché « de manière assez superficielle » à cet épisode. Selon celui-ci, Allah abrogerait les versets que Satan « jette[6] ». La tradition savante arabo-musulmane voit dans ce passage une tentative de compromis avec le polythéisme. Les trois divinités auraient été intégrées à la théologie musulmane, mais de manière subordonnée à Allah. Pour l'islam orthodoxe, une telle compromission ne peut avoir été dictée que par Satan[3].

Le terme « sublime déesse », utilisé dans la sourate 53, est une traduction d'un terme arabe obscur mais « qui reconnaît assurément aux trois déesses (al-Lat, al-Uzza et Manat) une essence surnaturelle[3] ». L'épigraphie permet de comprendre que les « filles de Il » (terme probablement à l'origine de l'expression « fille d'Allah ») désigne des êtres surnaturels ayant un rôle de messager. Il s'agit d'un terme théologique polythéiste qui correspond au terme monothéiste d'ange. La compromission est donc double puisqu'elle inclut des divinités préislamiques à la théologie musulmane mais aussi par l'usage d'une terminologie polythéiste[3].

Cette tentative de synthèse théologique a rapidement été récusée « parce qu'il [Mahomet] n'était pas en position de force et semblait avoir cédé sur le monothéisme ». Une autre synthèse semblable se trouve, pour l'épigraphiste et orientaliste Christian Julien Robin, dans l'assimilation d'ar-Rahman avec Allah. L'historien identifie dans cette appellation un nom dérivé de « Rahmanan », qui désigne le dieu des juifs, mais aussi les dieux d'autres communautés monothéistes vivant dans l’Arabie préislamique, que ce soit chez des chrétiens, ou chez le prédicateur Musaylima al-kadhdhâb, un rival de Muhammad[3],[7].

Récit de Tabari

Le récit des « versets sataniques » a, notamment été transmis par Ibn Sa'd[6] et par Tabarî (839-923), historien et commentateur sunnite qui rapporte ainsi cette anecdote[5] :

« Alors fut révélée au prophète la sourate de l'Étoile. Il se rendit au centre de La Mecque,
où étaient réunis les Quraychites, et récita cette sourate. Lorsqu'il fut arrivé au verset 19 :

« Que croyez-vous de al-Lat, de `Uzza et de Manat, la troisième ?
Est-il possible que Dieu ait des filles, et vous des garçons ?
La belle répartition des tâches que ce serait là... »

Iblîs vint et mit dans sa bouche ces paroles :

« Ces idoles sont d'illustres divinités, dont l'intercession doit être espérée. »

Les incrédules furent très heureux de ces paroles et dirent :

« Il est arrivé à Mahomet de louer nos idoles et d'en dire du bien. »

Le prophète termina la sourate, ensuite il se prosterna, et les incrédules se prosternèrent à son exemple, à cause des paroles qu'il avait prononcées, par erreur, croyant qu'il avait loué leurs idoles.
Le lendemain, Gabriel vint trouver le prophète et lui dit :

« Ô Mahomet, récite-moi la sourate de l'Étoile. »

Quand Mahomet en répétait les termes, Gabriel dit :

« Ce n'est pas ainsi que je te l'ai transmise ? J'ai dit : « Ce partage est injuste ». Tu l'as changée et tu as mis autre chose à la place de ce que je t'avais dit. »

Le prophète, effrayé, retourna à la mosquée et récita la sourate de nouveau. Lorsqu'il prononça les paroles :

« Et ce partage est injuste »

Les incrédules dirent :

« Mahomet s'est repenti d'avoir loué nos dieux. »

Le prophète fut très inquiet et s'abstint de manger et de boire pendant trois jours, craignant la colère de Dieu. Ensuite Gabriel lui transmit le verset suivant :

« Nous n’avons pas envoyé avant toi un seul prophète ou envoyé sans que Satan n’ait jeté à travers dans ses vœux quelque désir coupable ; mais Dieu met au néant ce que Satan jette à travers, et il raffermit ses signes (ses versets)[8]. »

Des versets controversés

Lors de l'épisode des versets sataniques, Mahomet fait des concessions à l'unicité divine afin d'attirer à sa nouvelle religion les Quraych polythéistes. Cet épisode est cité par al-Tabari[9]. Si la version d'Ibn Hisham des écrits d'Ibn Ishaq ne fait pas mention de cet épisode[10], Alfred Guillaume le réintègre au texte original d'Ibn Ishaq à partir des écrits de al-Tabari. En effet, l'immense majorité du contenu historique de l'édition d'Ibn Hisham provient d'Ibn Ishaq. Néanmoins, il a retranché beaucoup, semble-t-il, des épisodes, dont probablement celui-là[11].

Dans l'ouvrage collectif, Le Coran des historiens, Christian Julien Robin cite ces deux versets qui « auraient été déclamés, puis abrogés parce qu'ils ne s'accordaient pas avec le monothéisme radical de la prédication muhammadienne. La vulgate ne les reproduit pas, au contraire d'autres versets également abrogés, ce qui souligne la gêne qu'il ont provoquée » :

« 19. Avez-vous considéré al-Lat et al-Uzza

20. Et Manat, cette troisième autre?

20. bis [Ce sont les sublimes Déesses

20. ter. et leur intercession est certes souhaitée]

21. Avez-vous le Mâle et Lui la Femelle ! »

Christian Julien Robin poursuit en signalant que Mahomet a rapidement récusé cette tentative de synthèse entre polythéisme et monothéisme mais, paradoxalement, « bien plus tard, c'est une synthèse très semblable qu'il accepte quand, revenu en vainqueur, il propose l'assimilation d'Ar-Rahman avec Allah[12] ». L'historien identifie dans cette appellation un nom dérivé de « Rahmanân », qui désigne le dieu des juifs vers le VIe siècle dans l'Arabie préislamique, mais aussi les dieux d'autres communautés monothéistes vivant dans la même région, que ce soit chez des chrétiens, ou chez le prédicateur Musaylima, un rival de Muhammad[3],[7]. À l'appui de cette analyse, Christian Robin précise : « Dans l'invocation bi-(i)smi (A)llâh ar-Rahmân ar-rahïm, il est clair que ar-Rahmân était à l'origine un nom propre et que le sens premier était : «au nom du dieu ar-Rahmàn le miséricordieux». Aux arguments historiques, on peut ajouter qu'en arabe, le mot rahmân ne se trouve que dans ce contexte. »[7].

Historicité

L’authenticité de ce récit est généralement admise. Pour certains orientalistes, ils pourrait refléter une volonté de rapprochement avec les polythéistes[5]. Si certains auteurs, comme Caetani considère ce récit comme une invention a posteriori, la majorité des chercheurs en défendent l'authenticité[6]. Crone remarque néanmoins que ces versets sataniques s'intégreraient difficilement à la sourate 53[6].

Néanmoins, certains auteurs musulmans modernes rejettent ce récit, considérant que les versets actuels du Coran sont cohérents. Pour eux, le récit aurait été majoritairement accepté pour des raisons théologiques, celui-ci mettant en valeur le rôle passif de Mahomet dans la réception de la révélation coranique[5]. Néanmoins, pour Bell, les versets 21-22 et 23 sont des ajouts postérieurs au texte[6].

La construction d'une figure de prophète infaillible

Du point de vue du consensus actuel musulman, Mahomet, en tant que messager du message divin, ne saurait avoir ni sa foi, ni sa sincérité remises en cause, ni même voir sa vie être ramenée à une vie banale où l'erreur est possible.[réf. nécessaire] Pour Ibn Warraq, cette supposée concession à l'idolâtrie pose problème : « quelle foi pourrions avoir en un homme qui peut être aussi facilement corrompu par l'esprit du mal (...). Comment pouvons-nous être sûrs que d'autres passages ne sont pas inspirés par le diable ? »[13].

L'idée d'un prophète purifié apparaît dans certaines biographies anciennes. Ainsi, un hadith raconte une purification du cœur de Mahomet par des anges.[14][réf. nécessaire] Pour autant, le principe d'infaillibilité et de préservation du péché n'a pas pour origine le texte coranique, ni les hadiths. Il apparaît sous l'influence de la pensée orientale et à travers les chiisme avant d'intégrer la foi sunnite[15]. Il concernait à ses origines l'Imam[16].

Cette notion, isma, évolue de la préservation de la simple révélation coranique à l'infaillibilité de l'ensemble des prophètes. Certains courants de l'islam ont alors continué à défendre, en s'appuyant sur le texte coranique, l'existence de péchés commis par les prophètes et Mahomet, entre autres, durant leur mission prophétique[17]. Les XIIe et XIIIe siècles voient encore, à la suite des apports logiques de la philosophie grecque, une opposition entre ces différents courants, certains limitant l'impeccabilité de Mahomet et des prophètes, d'autres présentant des justifications aux péchés présentés dans le texte coranique[17]. Une opposition est faite dans le courant muʿtazilite entre des fautes graves dont auraient été exemptés les prophètes et les fautes légères dues à l'inadvertance qu'ils ont pu commettre[16].

Ainsi, certaines justifications sont présentées et étudiées par Fakhr ad-Dîn ar-Râzî (XIIe – XIIIe siècle), défenseur d'une préservation des prophètes des erreurs et péchés. Les versets sataniques sont pour certains mis en doute, pour d'autres ils auraient été mal compris et auraient été à l'origine une phrase interro-négative, ou encore auraient désigné des anges et non les trois déesses. Pour d'autres encore, Satan aurait parlé et non Mahomet, niant ainsi une faute grave commise par le prophète. Selon l'islamologue Nadjet Zouggar, ces explications sont fondées sur des arguments que l'on peut qualifier de dialectiques ou spéculatifs, plutôt que scripturaires[17].

Notes et références

  1. Gilbert Grandguillaume, « Le langage de l'orientalisme », Peuples Méditerranéens, L'orientalisme, interrogations, N°50, 1990, 171-176.
  2. Muir, Sir W., The Life of Muhammad, Edimbourg, 1923
  3. a b c d e et f Christian Robin, « L'Arabie préislamique », Le Coran des Historiens, 2019, Paris, p. 108 et suiv.
  4. Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman, traduit de l'anglais, Éditions L'Âge d'Homme, Lausanne, 1999
  5. a b c d e et f M.T. Urvoy, "Versets sataniques", Dictionnaire du Coran, 2007, p. 905.
  6. a b c d e et f P. Neuenkirchen, « Sourate 53 », Le Coran des historiens, 2019, p. 1567 et suiv.
  7. a b et c Christian Julien Robin, « Du paganisme au monothéisme », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 61, no 1,‎ , p. 139–155 (DOI 10.3406/remmm.1991.1512, lire en ligne, consulté le )
  8. Tabari (trad. Herman Zotenberg), La Chronique, Histoire des prophètes et des rois (2 volumes), vol. II, Actes-Sud/Sindbad, coll. « Thésaurus », (ISBN 978-274273318-7), « Mohammed, le sceau des prophètes », p. 90-91. L'épisode est situé à La Mecque avant l'hégire pendant l'exil de certains nouveaux convertis en Abyssinie.
  9. W. Montgomery Watt, M. V. McDonald (Traduction et commentaires), The History of al-Tabari –Muhammad at Mecca, State University of New York Press, , Volume VI, p. 111
  10. Hichem Djaït, "La vie de Muhammad" Tome 2, en ligne sur Google Livres
  11. Alfred Guillaume (Introduction et notes), , Oxford University Press, 1995, p. 165-167
  12. Christian Julien Robin, L'Arabie préislamique in Le Coran des historiens, Paris, Les éditions du Cerf, , 4372 p. (ISBN 978-2-204-13551-1), p. 113
  13. Ibn Warraq, ibid
  14. Ibn Hišām,Sīrat al-nabī, p. 176
  15. Wensinck, The Muslim Creed, Londres,1965, p. 217-218.
  16. a et b Madelung, W. and E. Tyan, “ʿIṣma”, in: Encyclopédie de l’Islam.
  17. a b et c Nadjet Zouggar, « L’impeccabilité du Prophète Muḥammad dans le credo sunnite », Bulletin d’études orientales,‎ , p. 73–89 (ISSN 0253-1623)

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