Pour l’article homonyme, voir Monsieur Toussaint Louverture.
François-Dominique Toussaint Louverture, à l'origine Toussaint de Bréda, né vers 1743 près du Cap-Français (actuel Cap-Haïtien), et mort en captivité le à La Cluse-et-Mijoux, dans le département du Doubs, en France, est un général et homme politique franco-haïtien[1] d'origine afro-caribéenne.
Descendant d'esclaves noirs, lui-même affranchi, il devient propriétaire d'esclaves[2], et possède même plusieurs plantations. Il joue un rôle historique de premier plan pendant la Révolution haïtienne (1791-1802) et devient l'une des grandes figures des mouvements d'émancipation des colonies par rapport à leur métropole. Arrêté et emmené en France, Toussaint Louverture finit ses jours en 1803, incarcéré en isolement au fort de Joux, dans le rude climat du Doubs, sans avoir pu connaître la proclamation d'indépendance d'Haïti le par son ancien esclave, devenu son lieutenant, Jean-Jacques Dessalines.
S'agissant de l'abolitionnisme et de l'émancipation personnelle des Noirs, son action semble avoir été quelque peu mythifiée. Parmi les travaux les plus récents, certains historiens font apparaître par leurs recherches les aspects contradictoires du personnage[3],[4],[5], lequel exploita des plantations esclavagistes, ne rechercha pas toujours la libération effective des travailleurs noirs, et fut adepte d'un pouvoir pour le moins autoritaire (Constitution de Saint-Domingue de 1801).
Toussaint Louverture reste néanmoins une figure incontournable de la Révolution haïtienne, laquelle aboutit à l'indépendance de toute l'île de Saint-Domingue. Sa détention par Napoléon et sa mort en captivité achèveront de le transformer en héros, dont la légende dépasse parfois la réalité. C'est aussi un des premiers penseurs qui introduit des idées sur la décolonisation en pleine conjoncture coloniale.
La jeunesse de Toussaint Louverture est peu connue.
Il est né dans la colonie de Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti, au début des années 1740.
Toussaint Louverture fut d'abord un domestique, très probablement cocher, une profession souvent réservée aux créoles[3].
Deja de son vivant, la rumeur veut qu'il ait été le fils de Gahou Deguénon, prince africain d'Allada. L'historien français du XIXe siècle Antoine Marie Thérèse Métral rapporte qu'« en l'an X, quand la perte de Toussaint Louverture fut jurée, on lui reprocha dans les journaux d’être le descendant d’un roi d’Afrique (voyez les journaux de vendémiaire et de brumaire de ce temps)[6] ». Selon l’historien Bernard Gainot, ce mythe d'une ascendance royale trouve peut-être son origine dans le fait que Toussaint Louverture savait lire et écrire, ce qui impressionnait les autres esclaves. Pourtant, Toussaint n'a été alphabétisé que tardivement, puisqu’en 1779 il déclarait dans un acte ne savoir « ni signer, ni écrire[7] ». Cette éducation n'aurait donc pas de lien avec ses origines.
Le fait est donc que Toussaint sert d'abord comme domestique sous le statut d'esclave sur l’'habitation Bréda, située sur le Haut du Cap au nord de l'île. Il est le protégé du gérant Bayon de Libertat, qui lui aurait accordé une liberté de savane ; en d’autres termes, il bénéficie de la liberté de mouvements sans l'affranchissement[3]. Selon les historiens Menier, Debine et Fouchard, son affranchissement aurait eu lieu en 1776[8]. Mais cette date est ambiguë car fondée sur un acte où il est question d’un autre affranchi : on ne sait donc pas si la date indiquée le concerne vraiment. De ce fait, s'il est certain qu’en 1776 Toussaint est totalement libre, il est probable que son affranchissement remonte à la fin des années 1760 ou au début des années 1770. Une fois affranchi, Toussaint prend comme patronyme « Bréda », le nom de l'habitation dont il avait été l'esclave.
En 1779, on retrouve Toussaint Bréda, environ 35 ans, à la tête d’une habitation produisant du café au Petit-Cormier et comptant treize esclaves, parmi lesquels un certain Jean-Jacques qui n'est autre que son futur successeur et empereur Dessalines, comme l'a découvert récemment l'historien Jacques de Cauna[9].
Toussaint Bréda fait ainsi partie des esclaves qui connaissent une ascension sociale sous l'Ancien Régime. A l'aube de la Révolution française, qui remettra en question l'ordre socio-économique, sa situation est donc plutôt aisée.
Toussaint Bréda, en plus d’occuper des fonctions de médecin chez les insurgés, offre ses services de conseiller à Biassou qu’il juge plus malléable que Jean-François, le chef suprême[10]. D’après l’historien Bernard Gainot, il lui organise une garde disciplinée à l’européenne qui tranche avec la totale désorganisation des insurgés. Pour Toussaint, cela est peut-être une question de survie : être à la tête d’un mouvement discipliné lui est sans doute plus efficace pour protéger sa personne et ses biens qu’être seul face à une horde d’insurgés laissés à eux-mêmes[réf. nécessaire].
Au printemps 1793, les Espagnols offrent aux révoltés un sanctuaire, en même temps que la liberté à ceux qui combattraient pour eux. Toussaint Bréda, à la tête de son armée de 3 à 4 000 noirs, est vite remarqué pour ses talents militaires et sa discipline[11]. Ainsi est-il promu lieutenant-général. Toussaint troque alors son nom Bréda pour Louverture, surnom qui, bien que faisant l’objet de spéculations diverses, devait suggérer son habileté à ouvrir une brèche dans les rangs de l’adversaire. Ses qualités militaires le mènent à développer des ambitions politiques.
Toussaint Louverture | |
Fonctions | |
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capitaine-général de Saint-Domingue | |
Biographie | |
Nature du décès | Apoplexie |
Nationalité | Français |
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Toussaint s’émancipe rapidement de la tutelle des deux chefs historiques du mouvement ainsi que de celle des Espagnols, en entretenant des relations avec le camp français[12]. Le , il rallie ainsi le camp républicain sur l’offre du du gouverneur général Lavaux. Longtemps, les historiens ont cru que cette décision avait été motivée par l’officialisation de l’abolition de l’esclavage par la Convention le 4 février 1794. L’historien américain John Garrigus a démontré que ce n'était pas le cas : la mesure de la Convention n’avait pas encore été portée à l’île.
Toutefois, il est vrai, la proclamation par Sonthonax, commissaire de la République pour Saint-Domingue, de la liberté générale sur l’île en août 1793 rend le camp français plus attractif pour les anciens cultivateurs esclaves, que le camp espagnol. En , Lavaux peut ainsi armer de nombreux cultivateurs avec les 30 000 fusils qu’il avait reçus de la deuxième commission civile. Ce n’est donc qu’une fois l’armée française passée à l’offensive, que Toussaint Louverture rallie les abolitionnistes. Pour autant, il n’est pas impossible que Toussaint ait vu dans la cause abolitionniste l’idéologie qui pourrait lui permettre de survivre politiquement. Une autre raison l’ayant poussé dans le camp français est qu'il était en conflit ouvert avec ses supérieurs. Il venait d’échapper à un attentat dont la responsabilité a été attribuée à Jean-François. Avec Georges Biassou, ses relations n’étaient pas meilleures[13].
Sa défection du camp espagnol marque ainsi son engagement en faveur de l’abolition de l’esclavage. L’année suivante, l’Espagne capitule.
Le ralliement de Toussaint Louverture apporte à Lavaux 4 000 hommes entraînés à l’européenne, disciplinés. Cet apport est décisif dans la reprise en main du Nord de Saint-Domingue par les républicains. En 1795, les Espagnols vaincus signent la paix avec la France et lui cèdent Santo Domingo. Toussaint Louverture domine alors la province du Nord, à l'exception du Cap-Français contrôlé par le général Villatte[14]. En récompense de ses services, Toussaint fait partie de la promotion du permettant l’accès à de nombreux officiers de couleur au grade de général de brigade.
La figure de Toussaint Louverture, particulièrement appréciée par le gouverneur Lavaux, finit par entraver l’ascension du général Villatte. En mars 1796, las de cette situation, Villatte se fourvoie dans un coup d'État en arrêtant le gouverneur Lavaux. Immédiatement, Toussaint intervient et le met en déroute. En récompense de sa loyauté, en plus d’être promu général de division, Toussaint est nommé le lieutenant gouverneur de Saint-Domingue, occupant de fait le second rang derrière Lavaux[15].
Le , Toussaint Louverture profite de ce que le corps électoral est majoritairement formé de soldats, pour donner des consignes afin d’élire le gouverneur Lavaux et le commissaire civil Sonthonax comme députés. Toussaint n’est pas immédiatement nommé commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue en remplacement de Lavaux. Il doit attendre le pour obtenir ce poste par Sonthonax[14]. Une fois la promotion obtenue, Toussaint expédie manu militari, en , Sonthonax siéger en métropole, ce dernier lui portant ombrage notamment auprès des Noirs dont il était très apprécié. Toussaint, jaloux de son autorité, glisse vers un pouvoir très personnel.
En août 1798, le général de division Toussaint Louverture négocie la reddition des Britanniques occupant encore l’Ouest de l’île. L’accord signé entre les deux parties prévoit notamment l’ouverture des ports de Saint-Domingue aux navires de commerce britanniques, alors même que la France est encore en guerre avec la Grande-Bretagne[16]. Le général Hédouville, supérieur hiérarchique de Toussaint en poste depuis , furieux d’une telle insubordination, s’émeut plus encore du contenu de l’accord. La dégradation de leur relation est telle que Toussaint organise en une révolte populaire forçant Hédouville à quitter l’île. La veille de son départ forcé, Hédouville décharge le général André Rigaud contrôlant le Sud de l’île, de toute sujétion à l’égard de Toussaint Louverture.
En juin 1799, Toussaint entre en guerre contre Rigaud. C'est la « guerre du Sud », vue comme un conflit entre la « caste » des Noirs (représentés par Toussaint) et la « caste » des Mulâtres (terme qui désignent les métis, représentés par Rigaud). Le conflit entre les deux hommes n’est pourtant pas une question de couleur, mais une véritable lutte pour le pouvoir et le contrôle du territoire[15]. Il n’empêche que de lourdes pertes sont infligées aux mulâtres du Sud[17] ; les sources rapportent entre 5 000 et 10 000 morts, des soldats désarmés pour la plupart[17]. Bernard Gainot parle à ce propos d'une « guerre d'extermination » menée par Toussaint Louverture[17]. En juillet 1800, Toussaint sort vainqueur[18].
Six mois après, la partie espagnole, officiellement française depuis 1795, est envahie par Toussaint. Mais la consécration vient le 13 ventôse an IX (), lorsque Napoléon Bonaparte nomme le général de division Toussaint capitaine-général de Saint-Domingue, c'est-à-dire le deuxième personnage de la colonie après le représentant légal de la France sur place. En réponse, le 14 messidor de l'an IX (), le général de division Toussaint Louverture promulgue une constitution autonomiste : il se nomme lui-même gouverneur à vie [terme de l'ancien régime] de Saint-Domingue, qui reste terre française, en se gardant la possibilité de désigner son successeur. Si l'esclavage est supprimé, la traite est maintenue et un nouveau servage instauré (attachement des travailleurs à la terre et recours au travail obligatoire possible)[5],[19].
En moins d’une décennie, Toussaint Louverture, chef militaire autodidacte, célébré à la fois par les Noirs et les Blancs, est parvenu à se hisser politiquement à la tête de Saint-Domingue. Sous son impulsion, la révolution domingoise permet l’instauration d’un nouvel ordre, inspiré du modèle colonial de l’Ancien Régime, mais profitant aux militaires de couleur, surtout aux Noirs.
On observe, sous le primat de Toussaint Louverture, la restauration de nombreux « symboles » de l’Ancien Régime. Toussaint Louverture s’était entouré, d’après l’historien Bernard Gainot, d’une cour où l’étiquette était de rigueur. Les Blancs étaient nombreux à y participer. Certaines mesures prises par Toussaint marquent également une restauration des « valeurs morales ». Ainsi est rétablie la pompe de l’Église catholique lors de victoires : cette cérémonie d’Ancien Régime glorifiant la lutte contre le protestantisme, a été célébrée lors des succès de Toussaint contre les Anglais. Le divorce, légalisé sous la Révolution, est supprimé avec Toussaint. Les émigrés, ces planteurs blancs ayant fui la Révolution, sont rappelés afin, assure Toussaint, de bénéficier de leurs compétences techniques.
Dès 1795, Toussaint Louverture se montre très actif pour obliger les anciens esclaves non engagés dans l’armée à reprendre le travail. Ce qui provoque des soulèvements, les cultivateurs y voyant une forme de rétablissement de l’esclavage. Toussaint utilise alors ses troupes disciplinées d’anciens esclaves pour mater ces révoltes[20]. Les habitations sont placées sous administration militaire : les officiers de Toussaint, comme Jean-Jacques Dessalines ou Henri Christophe, appliquent de manière militaire les « règlements de culture ». Désormais, à Saint-Domingue, deux entités existent : celle des militaires et celle des cultivateurs assignés sur leurs anciennes habitations[21]. Cette forme de servage a été qualifiée par les historiens de « caporalisme agraire ».
Enfin, sous son autorité, est réalisée une vieille revendication coloniale : l’accession à l’autonomie de la colonie. À la suite du coup d’État de Bonaparte, le régime d’isonomie républicaine des colonies a été supprimé. Les colonies ont été placées sous un régime d’exception. Toussaint, informé de cette mesure, s’attelle de son propre chef à l’élaboration d’une constitution, celle du 8 juillet 1801 (Constitution de Saint-Domingue de 1801), autonomiste et autocratique. Elle est inspirée de la constitution de l’an VIII, notamment pour la prééminence de l’exécutif et du militaire. Cette constitution le nomme gouverneur à vie, et consacre le catholicisme comme religion d’État ; et si, en théorie, elle reconnaît la liberté générale, elle envisage à terme la possibilité de recourir de nouveau à une main-d’œuvre africaine. Enfin, cette constitution institutionnalise les « règlements de culture ».
C’est compter sans Napoléon Bonaparte qui, apprenant en la prise de possession de la partie espagnole par Toussaint — lui qui œuvrait pour une réconciliation franco-espagnole —, entre dans une grande colère : à ses yeux, cette constitution est un affront de trop et Toussaint Louverture devient dangereux[22]. La réaction du Premier Consul de France Bonaparte est l’envoi d’un corps expéditionnaire qui doit mettre un terme à l'émancipation domingoise.
La France, en , entre enfin en paix avec la Grande-Bretagne : une expédition à Saint-Domingue est ainsi rendue possible. Un corps expéditionnaire est donc formé et placé sous le commandement du général Leclerc. Il comporte des officiers issus des colonies comme Rochambeau, ou encore des officiers de couleur défaits par Toussaint Louverture (Rigaud, Pétion, Villatte). L’expédition Leclerc quitte la France en avec 17 000 hommes, renforcée entre mars et par 6 000 hommes. Toussaint dispose d’une armée de 20 000 hommes, répartie entre l'infanterie, la cavalerie et le génie. Par ailleurs, sa garde nationale, véritable troupe aguerrie, compte près de 10 000 hommes.
Le général Leclerc débute par un débarquement simultané dans tous les grands ports en , suivi d’une offensive pour refouler les rebelles. Malgré une supériorité numérique, Toussaint Louverture est rapidement défait militairement et adopte alors une tactique défensive, pratiquant la stratégie de la terre brûlée. Celle-ci n’arrête pas l’offensive menée par le corps expéditionnaire. Malgré des pertes importantes, les troupes venues de France sont victorieuses, si bien que les officiers de Toussaint, à l’exemple de Maurepas ou Henri Christophe, font tour à tour défection. Le , Toussaint Louverture est contraint de capituler, puis est assigné à résidence dans sa propriété dans l’île.
Avec la chute de Toussaint Louverture, la Révolution domingoise connaît un coup d’arrêt. Trop progressiste pour Bonaparte, trop réactionnaire aux yeux des cultivateurs, le régime de Toussaint Louverture ne semble satisfaire personne, à l’exception de la nouvelle élite de militaires de couleur, grande bénéficiaire du nouvel ordre. C’est finalement dans une certaine indifférence que le , en dépit des promesses faites en échange de sa reddition, Toussaint Louverture — ainsi qu'une centaine de ses proches — est capturé et déporté en France : il est embarqué avec sa famille sur la frégate la Créole et transbordé au large du Cap-Haïtien sur le Héros qui le transporte à Brest. Maintenu aux arrêts en rade à bord du Héros, il est débarqué le 25 thermidor an X () à bord d'une chaloupe vers Landerneau et conduit sous bonne garde avec son fidèle serviteur Mars Plaisir au fort de Joux dans le plus grand des secrets afin d'être « interrogé ». Plutôt que de l'envoyer en procès, on le laisse croupir en prison afin de le briser moralement et physiquement par de nombreuses vexations, humiliations et brimades. Il meurt le , d'apoplexie et de pleuro-péripneumonie, après un hiver rude dans le Doubs[23],[24].
Napoléon Ier, à Sainte-Hélène, émit finalement quelques remords sur le sort qu’il avait réservé à cet homme et l’estima même « fin et astucieux », avouant qu’il lui avait donné beaucoup de fil à retordre. Il se reprocha finalement d’avoir voulu à tout prix soumettre la colonie, et de ne pas s’être contenté de gouverner Saint-Domingue par son intermédiaire[23].
Il faut attendre la fin de la Révolution haïtienne pour que l’œuvre amorcée par Toussaint Louverture trouve son aboutissement, et qu'il soit érigé pour la postérité en héros national haïtien. En effet, c'est son ancien lieutenant Jean-Jacques Dessalines qui proclame l'indépendance de la République le .
S'agissant de l'abolitionnisme et de l'émancipation personnelle des Noirs, son action semble avoir été quelque peu mythifiée. Parmi les travaux les plus récents, certains historiens (Jacques de Cauna[3], Philippe Girard[4], Jean Louis Donnadieu[5]) font apparaître par leurs recherches les aspects contradictoires du personnage, lequel exploita des plantations esclavagistes, ne rechercha pas toujours la libération effective des travailleurs noirs et fut adepte d'un pouvoir pour le moins autoritaire (Constitution de Saint-Domingue de 1801). Il est difficile de faire apparaître a posteriori le maître d'esclaves qu'il fut un temps, comme le chantre de l'émancipation noire, comme il est quelquefois présenté[25]. Son action fut autre, notamment au niveau des concepts, tels que la promotion théorique de l'égalité entre les hommes, et le décolonialisme.
L’historiographie haïtienne ou encore l’œuvre de l’abolitionniste Victor Schœlcher avaient érigé Toussaint Louverture en modèle de libérateur de l’oppression. D'autres historiens présentent donc une vision plus contrastée du personnage, nostalgique d’un Saint-Domingue « perle des Antilles », dans lequel il a grandi et prospéré et dont l'opposition au système colonial de l’Ancien Régime serait à nuancer. Si la Révolution porte cet ancien esclave noir affranchi dans les plus hautes strates du pouvoir militaire puis politique de la colonie française de Saint-Domingue, jusqu'à sa chute face à l'armée du général Leclerc envoyée par le Premier consul Bonaparte qui, parallèlement, rétablit l'esclavage (1802), son ascension avait débuté en effet dès l'Ancien Régime par l'exploitation de plantations.
Sabine Manigat, sociologue et politologue, professeure et chercheuse à l’université Quisqueya de Port-au-Prince, résume cette contradiction fondamentale en ces termes : « l’inévitable fracture : le pouvoir contre la liberté, la propriété contre l’égalité, est inscrite dès le début, dans les fondements de l’État louverturien »[26].
Pour autant, en tant qu'acteurs majeurs de la révolution haïtienne, Toussaint Louverture et son compagnon de route Jean-Jacques Dessalines ne sont pas, dans leurs écrits, de simples mémorialistes. Hommes d'action mais aussi hommes d'idées précurseurs, ils se projettent dans l'avenir, et conceptualisent la suite de la décolonisation[27]. La philosophe américaine et historienne des idées Susan Buck-Morss (en), qui analyse leurs textes dans son ouvrage Hegel, Haiti, and Universal History publié en 2009, s'interroge sur les rapports d'influence intellectuels possibles entre leurs idées et la dialectique du maître et de l'esclave introduite par Hegel dans son ouvrage intitulé : la Phénoménologie de l'Esprit[27],[28]. Une dizaine d'années auparavant, un autre historien américain, David Brion Davis (en) avait déjà soulevé la même remarque concernant les idées mises en exergue par Toussaint Louverture[29].
Il existe deux courants historiographiques au sujet du rôle joué par Toussaint Louverture dans la révolte des esclaves du Nord en 1791.
« En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses »[33]. Ces mots sont ceux qu’aurait prononcés Toussaint Louverture, le en direction du chef de division Jean Savary, à l'instant de monter sur le navire Le Héros, qui le déporte en France avec sa famille.
Cette citation doit être restituée dans une certaine historiographie, confinant parfois à une légende dorée associant Toussaint au « Spartacus noir » prophétisé par l’abbé Raynal[34], aussi appelé « Le Premier des Noirs »[35].
Après une première plaque mémorielle apposée dans la mairie de la Cluse-et-Mijoux en 1901, l'ambassadeur d'Haïti en France Léon Thébaud fait ériger un mémorial au fort de Joux à La Cluse-et-Mijoux avec l’appui du maire Émile Lambert, à l'occasion du 150e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture[36]. En 1927, le représentant d’Haïti à la Société des Nations, le colonel Nemours, dépose drapeau haïtien sur la cheminée face à laquelle est mort Toussaint Louverture[36]. En 2003, un buste de Toussaint Louverture est offert par Haïti et exposé au Fort de Joux[36].
En 1983, l’ambassadeur d'Haïti en France Guerrier prélève une pelletée de terre du Fort de Joux, qui est déposée dans une urne convoyée puis déposée au Musée du Panthéon national haïtien à Port-au-Prince[36].
Une plaque commémorative portant l'inscription « À la mémoire de Toussaint Louverture, combattant de la liberté, artisan de l’abolition de l’esclavage, héros haïtien mort déporté au fort de Joux en 1803 » est posée dans la crypte du Panthéon à Paris le [36],[37]. D'autres sources datent cette inscription du [38].
À Massy (Essonne), une statue de Toussaint Louverture est dévoilée le , sur proposition du CIFORDOM, sur la place Victor Schœlcher à l'occasion du bicentenaire de la Révolution par Claude Germon, député-maire de Massy et José Pentoscrope, conseiller municipal et président du CIFORDOM (Centre d’information, Formation, Recherche et Développement pour les Originaires d’Outre-Mer) en présence de Gaston Monnerville, ancien Président du Sénat, Gabriel Lisette, ancien ministre, Alex Garcia, le sculpteur et de plusieurs personnalités de l'outre-mer. C'est alors la première statue d'un homme noir sur l'espace public en métropole[39],[40].
Un buste réalisé par Ludovic Booz est érigé le sur le quai de Queyries à Bordeaux (Gironde)[41].
Une statue réalisé par Ousmane Sow est érigée près du Musée du Nouveau Monde à La Rochelle (Charente-Maritime)[42].
Plusieurs villes de France métropolitaine ont donné le nom de Toussaint Louverture à une rue, une avenue, une place… : Blainville-sur-Orne, Bobigny, Clermont-Ferrand, Lorient, Montpellier, Niort, Notre-Dame-d'Oé, Palaiseau, Paris (11e arrondissement), Poitiers, Saint-Brieuc et Saint-Denis :
Des écoles Toussaint-Louverture se trouvent à Clichy (Hauts-de-Seine) et Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane). Une rame de tramway de la ville de Besançon porte son nom[49]
Toussaint Louverture, chef des insurgés de Saint-Domingue, XIXe siècle.
Toussaint Louverture à Saint-Domingue.
1938 : Haïti. Le drame du Napoléon noir par William Du Bois. Affiche pour la présentation de « Haïti » au Théâtre Copley, 463 Stuart Street, Boston, Massachusetts, montrant un portrait en buste de Toussaint Louverture.
Selon une étude du chercheur haïtien Fritz Daguillard, seuls deux portraits d'époque semblent assez proches de leurs modèles. Le premier est l'aquarelle réalisée probablement d'après nature par Nicolas-Eustache Maurin, reproduit en gravure par François Delpech. L'original fut offert par Toussaint à Roume. Le second portrait a été réalisé par M. de Montfayon, ingénieur sous les ordres de Toussaint. Il a été désigné par Isaac Toussaint comme étant le seul portrait dans lequel il trouvait son père reconnaissable[56],[57]. Enfin, un portrait[58] dessiné par Pierre-Charles Baquoy a été retrouvé en 1989 à Port-au-Prince, authentifié et publié par l'historien français Jacques de Cauna dans Haïti, l'éternelle Révolution et reproduit dans Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti et la réédition critique des Mémoires du général Toussaint Louverture (couverture) par le même auteur.
Toussaint Louverture, homme politique haïtien (1743-1803) ; portrait de Nicolas-Eustache Maurin, François Delpech[59].
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