Lucrèce Borgia (Lucrezia Borgia en italien), née à Subiaco le et morte à Ferrare le , est la fille naturelle du cardinal valencien Roderic Borgia (futur pape Alexandre VI). Elle a marqué son époque comme protectrice des arts et des lettres. La tendance des historiens d'aujourd'hui serait plutôt de réhabiliter la mémoire de Lucrèce Borgia et de la famille Borgia, dont la « légende noire » a été véhiculée dès le XVIe siècle par l'Église et popularisée par la pièce de théâtre Lucrèce Borgia de Victor Hugo.
Elle vit d'abord auprès de sa mère avec ses frères et ses nombreux beaux-pères. En effet, sa mère, bien que favorite officielle du cardinal Borgia, s'est mariée quatre fois. Son dernier mari, Carlo Canale, est un humaniste qui enseigne aux enfants de sa femme le grec ancien et le latin. À l'adolescence, la jeune fille emménage dans le palais de son père, qui se fait passer auprès d'elle pour son oncle et ne lui révèle la vérité que plus tard. Borgia vit alors avec sa nouvelle maîtresse, Giulia Farnèse (mariée au peu plaisant Orsino Orsini, le fils d'Adriana de Mila, cousine du cardinal). C'est elle qui tient lieu de nouvelle mère à Lucrèce. La jeune fille, en effet élevée comme une véritable princesse bénéficie d'une éducation soignée. Lucrèce aurait été la grande amie de Giulia Farnèse, si tant est que ce mot puisse signifier quelque chose dans la sphère politique et le nid d'intrigues dans lequel elle vivait.
Même si son père et son frère, l'ambitieux César Borgia, l'aiment tendrement, Lucrèce demeure un outil politique à leurs yeux, comme toutes les femmes de son époque et de son rang[réf. nécessaire]. Elle ne commence à vivre l'existence tranquille à laquelle elle aspire qu'après son troisième mariage :
1493 : premier mariage, avec Giovanni Sforza, annulé en 1497 par son père le pape pour des raisons diplomatiques (changement d'alliance : Alexandre VI était allié aux Sforzade Milan contre la France de Charles VIII dans le cadre de la 1re guerre d’Italie et de la ligue de Venise (1495), d'où le mariage avec Giovanni ; puis il renverse les alliances et s'allie à Louis XII, préparant ainsi la 2e guerre d'Italie). Officiellement, l'annulation est due à la non-consommation de l'union. Sforza, vexé et humilié (il a été contraint de déclarer devant des témoins qu'il était impuissant, ce qui est faux, car il a eu de nombreux enfants illégitimes), est le premier à faire courir le bruit de rapports incestueux entre Lucrèce Borgia, son père et son frère. Lucrèce n'aime pas ce mari, de dix ans plus âgé qu'elle, et encore moins la vie à Pesaro. Elle s'ennuie rapidement de Rome.
1498 : deuxième mariage, avec Alphonse d'Aragon, assassiné en 1500 par Michelotto Corella, homme de main de son frère César Borgia. Le couple ayant eu un fils, l'annulation pour non-consommation n'était plus possible. D'après le romancier Mario Puzo, ce bref mariage satisfait Lucrèce. Alphonse s'avère jeune, séduisant, cultivé et attentionné. Toujours d'après l'auteur, elle supporte donc très mal son assassinat et se brouille avec son frère César. Elle se voit néanmoins contrainte par le pape son père à se remarier rapidement.
1501 : troisième mariage, avec Alphonse Ier d'Este, veuf d'Anna Sforza et futur duc deFerrare (en 1505). Les clauses du mariage ont été négociées très âprement par les deux partis. Le père d'Alphonse, le duc Hercule Ier, considère les Borgia comme des parvenus et Lucrèce comme une dépravée. Il admet également très difficilement de voir son héritier épouser une bâtarde. Même si les bâtards sont légion dans l'Italie de l'époque et s'il est assez courant que des cardinaux et des papes aient des enfants, qu'ils marient selon leurs intérêts politiques du moment (comme l'a fait Innocent VIII), la bâtardise demeure une tare. Hercule exige donc une dot fabuleuse, ce à quoi le pape se montre récalcitrant, du fait de ses perpétuels problèmes de trésorerie. Alexandre VI finit par offrir 100 000 ducats de dot et organise des célébrations marquées par le luxe et la luxure. Parmi les réjouissances, un festin destinés à cinquante courtisanes est organisé dans les appartements du Vatican et un spectacle présente la saillie de juments par des étalons fougueux devant la foule enthousiaste installée aux balcons[1].
À Ferrare, elle devient protectrice des arts. L'Arioste et Pietro Bembo la célèbrent. Son rôle politique demeure assez limité, surtout après la chute du clan Borgia consécutive à la mort du pape en 1503. Néanmoins, elle a été gouverneur de Spolète du vivant de son père.
Le mythe de Lucrèce Borgia et son influence sur les arts
La légende noire de Lucrèce Borgia préparée par les « racontars » de son premier époux Sforza, ne commence qu'avec Victor Hugo, qui, dans sa pièce en trois actes, crée « la plus glauque des légendes ». Celle-ci connaîtra une abondante postérité littéraire[2].
À partir du XXe siècle, de nombreuses biographies remettent en question les accusations d'immoralité portées contre Lucrèce (d'aucuns[3] lui ont prêté un fils né de ses amours incestueuses avec son père Rodrige Borgia ( juan), quelques bâtards, une activité d'empoisonneuse, etc.) et présentent le personnage comme la victime d'une époque plutôt cruelle pour les femmes. La réputation de Lucrèce Borgia a souffert des agissements de ses proches, mais les historiens s'accordent aujourd'hui à l'innocenter des multiples crimes et méfaits qui lui ont été imputés[4].
La fille du pape, par Dario Fo, édition Grasset, 2014
Peinture
Kathleen Mac Gowan évoque dans son livre Marie-Madeleine. Le livre de l'Élue le tableau de Franck Cadogan Cowper Lucrèce Borgia règne au Vatican en l'absence du Pape Alexandre VI.
Cantarella par Kaito Shion et Miku Hatsune (personnages fictifs).
Dans la chanson éponyme de son album Rimes féminines (1996), la chanteuse française Juliette cite Lucrèce Borgia parmi la ribambelle de grandes figures féminines auxquelles elle rend hommage. Mentionnée parmi « Le train du diable et ses diablesses / Les vénéneuses et les tigresses », elle y est appelée « l'empoisonneuse Borgia Lucrèce » et son nom rime alors avec ceux de Lola Montès et Gina Manès[6].
Lucrèce Borgia est un des personnages du jeu Assassin's Creed Brotherhood sorti sur Xbox 360, PlayStation 3, PC et réadapté pour Xbox One et PS4.
Bande dessinée et mangas
Une série en quatre albums, Borgia, écrite par Alejandro Jodorowsky et dessinée par Milo Manara, raconte de manière romancée la vie d'Alexandre VI et de sa progéniture :
Geneviève Chauvel, Lucrèce Borgia - La fille du pape, (ISBN2-85704-629-4)
(en) Sarah Bradford, Lucrezia Borgia: Life, Love and Death in Renaissance Italy (ISBN0-670-03353-7)
Notes et références
↑Sophie Cassagnes-Brouquet, Bernard Doumerc, Les Condottières, Capitaines, princes et mécènes en Italie, XIIIe-XVIe siècle, Paris, Ellipses, , 551 p. (ISBN978-2-7298-6345-6), p. L'âge d'or des bâtards (page 347)
↑Jean-Yves Boriaud, Les Borgia, la pourpre et le sang, Perrin, 2017, 396 p.
↑Giovanni Sforza, Giovanni Pontano, Jacopo Sannazaro, etc.