Les Misérables | ||||||||
Cosette chez les Thénardier (illustration d'Émile Bayard, 1886). | ||||||||
Auteur | Victor Hugo | |||||||
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Pays | France | |||||||
Genre | Roman | |||||||
Éditeur | Albert Lacroix et Cie | |||||||
Date de parution | 1862 | |||||||
Illustrateur | Émile Bayard | |||||||
Nombre de pages | 2 598 (éd. Testard, 1890) | |||||||
Chronologie | ||||||||
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Les Misérables est un roman de Victor Hugo publié en 1862. Il a donné lieu à de nombreuses adaptations, au cinéma et sur de nombreux autres supports.
Dans ce roman emblématique de la littérature française qui décrit la vie de pauvres gens dans Paris et la France provinciale du XIXe siècle, l'auteur s'attache plus particulièrement au destin du bagnard Jean Valjean. C'est un roman historique, social et philosophique dans lequel on retrouve les idéaux du romantisme et ceux de Victor Hugo concernant la nature humaine.
L'action se déroule en France au cours du premier tiers du XIXe siècle, entre la bataille de Waterloo (1815) et les émeutes de juin 1832. On y suit, sur cinq tomes, la vie de Jean Valjean, de sa sortie du bagne jusqu'à sa mort. Autour de lui gravitent les personnages, dont certains vont donner leur nom aux différents tomes du roman, témoins de la misère de ce siècle, misérables eux-mêmes ou proches de la misère : Fantine, Cosette, Marius, mais aussi les Thénardier (dont Éponine, Azelma et Gavroche) ainsi que le représentant de la loi, Javert.
Le premier livre s'ouvre sur le long portrait de Mgr Myriel, évêque de Digne, où, malgré son rang, il vit très modestement en compagnie de sa sœur, Baptistine, et d'une servante, Mme Magloire. Ce religieux est un juste qui se contente du strict nécessaire pour distribuer le reste de ses économies aux pauvres. Pénétré de charité chrétienne, il laisse sa porte grande ouverte et fraternise avec ceux que la société rejette.
En 1815, Jean Valjean est libéré du bagne de Toulon après y avoir purgé une peine de dix-neuf ans : victime d'un destin tragique, initialement condamné à cinq ans de bagne pour avoir volé un pain afin de nourrir sa famille, il voit sa peine prolongée à la suite de plusieurs tentatives d'évasion. En liberté, son passé de forçat l'accable : ainsi, dans chaque ville qu'il traverse, contraint à faire connaître de la mairie son statut d'ancien bagnard qu'un passeport jaune matérialise, il est universellement rejeté et seul Mgr Myriel l'accueille pour le gîte et le couvert. Jean Valjean, épris de haine, frappé d'injustice, et peu conscient de ses actes, vole l'argenterie de l'évêque et s'enfuit par la fenêtre. Lorsqu'il est arrêté et ramené par les gendarmes chez Mgr Myriel, celui-ci lui pardonne et déclare lui avoir offert son argenterie, le sauvant ainsi de la condamnation pour récidive. Il engage Valjean à accepter deux chandeliers supplémentaires contre la vertu et l'intégrité de sa conduite future.
Perdu dans ses pensées, Valjean vole, sans en avoir vraiment l'intention, une pièce de 40 sous à un ramoneur savoyard d'une dizaine d'années nommé Petit Gervais. Le jeune Savoyard fait tomber la pièce qui finit sous le pied de Valjean, celui-ci ne s'en aperçoit pas et chasse l'enfant qui lui demande plusieurs fois de la lui rendre. Lorsque Valjean voit la pièce, il essaie, mais en vain, de retrouver l'enfant pour lui restituer son argent.
Le vol est rapporté aux autorités, Valjean est désormais récidiviste, recherché par la police, encourant la prison à vie. Il doit donc cacher son identité. Ce sera sa dernière faiblesse, car il passe définitivement du côté du bien.
Ce livre commence par une description de la vie parisienne en 1817 avec ses mondanités, ses célébrités éphémères, ses hésitations politiques (disparition de l'ancien régime napoléonien et mise en place du nouveau régime monarchiste). C'est également l'occasion de présenter Fantine et ses amours de grisette, de même que ses amies Favourite, Dahlia et Zéphine ainsi que leurs amants. Le livre s'achève cependant par un coup de théâtre : les quatre jeunes gens mettent brutalement fin à leurs relations et abandonnent les jeunes filles sans prévenir pour rentrer dans leurs familles prendre un métier et se marier. Or, Fantine avait eu un enfant...
Huit mois après avoir été abandonnée, Fantine est contrainte de quitter Paris et de retourner dans sa ville natale, Montreuil-sur-Mer. Elle passe par Montfermeil, où elle tombe par hasard sur les Thénardier, qui tiennent une gargote, et leur confie spontanément sa fille, la jeune Cosette, contre une petite pension. Malheureusement, les Thénardier sont des gens avides et sans scrupules, qui comprennent rapidement l'intérêt financier que représente la fillette. Sitôt l'enfant chez eux, ils montrent leur véritable nature. Malgré son jeune âge, Cosette est maltraitée par toute la famille et rapidement contrainte aux travaux ménagers. Parallèlement, les Thénardier vendent le trousseau de la petite fille et l'habillent de haillons tout en réclamant régulièrement des augmentations du tarif de la pension à Fantine. Celle-ci, d'abord ponctuellement payée, commence à faire l'objet d'irrégularités, à mesure que Fantine s'enfonce dans la misère.
Jean Valjean reparaît à l'autre bout de la France, sous le nom de M. Madeleine et opère sa complète rédemption : enrichi honnêtement en améliorant la fabrication dans l’industrie des verroteries noires, il devient le bienfaiteur de la ville de Montreuil-sur-Mer, dont il sera nommé maire.
En regard de l'ascension de Jean Valjean, son rachat pourrait-on dire (« je vous achète votre âme » lui avait dit l'évêque), on assiste à la chute de Fantine, fille-mère qui, pour nourrir sa fille unique Cosette, ira de déchéance en déchéance, jusqu'à la prostitution et la mort. Fantine habite à Montreuil-sur-Mer, et travaille à la fabrique de M. Madeleine, mais celui-ci ignore tout de son calvaire, jusqu'à une altercation à la suite de laquelle elle est menacée d'emprisonnement.
Ce tome est l'occasion de présenter les personnages qui vont suivre Jean Valjean du début à la fin de ses aventures.
Peut-on croire Valjean-Madeleine sauvé, réintégré dans la société ? Victor Hugo ne le veut pas. Pour lui, l'honnêteté ne peut souffrir la compromission. Aux termes d'une longue nuit d'hésitation, M. Madeleine ira se dénoncer pour éviter à un pauvre diable, un simple d'esprit nommé Champmathieu, reconnu à tort comme étant Jean Valjean, d'être condamné à sa place. Tous les bienfaits qu'aurait pu apporter M. Madeleine ne pourraient compenser, selon Victor Hugo, la seule injustice faite à Champmathieu. Jean Valjean échappe cependant à la justice, retourne dans la clandestinité pour respecter une dernière promesse faite à Fantine qu'il a assistée à l'heure de sa mort : sauver Cosette, pensionnaire asservie et malheureuse des Thénardier.
Dans ce tome, deux livres encadrent l'action, l'un est consacré à la bataille de Waterloo et l'autre à la vie monacale.
Victor Hugo aborde le second tome des Misérables par la bataille de Waterloo qui s'est déroulée sept ans plus tôt. Victor Hugo place là une réflexion qui lui tient à cœur sur la bataille de Waterloo, bataille qui voit la chute d'un personnage qu'il admire, Napoléon Ier. Depuis longtemps, Victor Hugo est hanté par cette bataille. Celle-ci lui inspirera le poème « L'Expiation » du livre V des Châtiments. Il a refusé à plusieurs reprises de se rendre sur les lieux et c'est seulement en 1861 qu'il visite le champ de bataille et c'est là qu'il termine ce récit épique. La bataille de Waterloo est le lien dramatique qui relie Thénardier et Marius : Thénardier aurait « sauvé » le père de Marius à l'issue de cette bataille.
La Parenthèse (avant-dernier livre) que constitue la réflexion sur la vie monacale, la foi et la prière, pour surprenante chez un révolutionnaire comme Victor Hugo, se présente comme une profession de foi. Réquisitoire violent contre l'Église carcan, c'est aussi une apologie de la méditation et de la foi véritable. « Nous sommes pour la religion contre les religions. », précise Victor Hugo.
Le reste de ce tome est consacré à la traque de Jean Valjean. Échappant à Javert à la fin du tome I, Jean Valjean est rattrapé à Paris, mais a eu le temps de mettre de côté une forte somme d'argent. Envoyé aux galères, il s'en échappe, retourne chercher Cosette et se réfugie à Paris dans la masure Gorbeau. Javert le retrouve et le poursuit la nuit à travers les rues de Paris. Jean Valjean ne trouve son salut que dans le couvent du Petit-Picpus sous la protection de M. Fauchelevent, un charretier dont il a sauvé la vie à Montreuil-sur-Mer. Après un épisode dramatique de fausse inhumation dans le cimetière de Saint-Sulpice à Vaugirard, Jean Valjean s'installe au couvent avec Cosette sous le nom d'Ultime Fauchelevent et sera appelé par les religieuses « l'autre Fauvent ». Victor Hugo présente un Jean Valjean sublime ; la chute ne lui a pas fait perdre les qualités morales qu'il possédait en tant que M. Madeleine : c'est en sauvant un matelot de la noyade qu'il s'échappe des galères ; c'est à cause de sa générosité qu'il est repéré par Javert.
L'action se déroule entre 1830 et 1832. Le père Fauchelevent est mort. Jean Valjean et Cosette, alors âgée de 15 ans, ont quitté le couvent. Le tome s'ouvre et se referme sur le personnage de Gavroche. Victor Hugo se lance dans une longue digression sur le gamin de Paris, âme de la ville dont la figure emblématique est Gavroche, fils des Thénardier, mais surtout garçon des rues.
Victor Hugo axe tout le tome sur la personne de Marius en qui il se reconnaît jeune. Il avouera même avoir écrit avec Marius ses quasi-mémoires[1]. On y découvre Marius, petit-fils d'un royaliste, fils d'un bonapartiste, qui choisit son camp à 17 ans, quitte son grand-père et fréquente les amis de l'ABC, groupe de révolutionnaires idéalistes, et côtoie la misère.
Son destin croise celui de Cosette dont il tombe amoureux. On peut remarquer à ce sujet la tendresse de Victor Hugo décrivant avec humour et dérision ses premiers émois amoureux. Lors d'un guet-apens, dans cette même masure Gorbeau rencontrée au tome II, Victor Hugo provoque la rencontre de Jean Valjean (alias Madeleine – Fauchelevent – Leblanc – Fabre) avec Thénardier (alias Jondrette – Fabantou – Genflot) sous les yeux d'un Marius témoin invisible de la confrontation. Thénardier, avec sa bande de voleurs et d'assassins (les Patron-Minette), attire Jean Valjean et le torture pour lui faire révéler l'adresse de Cosette. La séance est interrompue par l'arrivée de la police et de Javert, averti par Marius, et Jean Valjean réussit à s'éclipser[2]. Marius découvre ainsi que le sauveur de son père est un infâme bandit et que le père de celle dont il est amoureux se cache de la police.
Toute l'action de ce tome est sous-tendue par l'émeute de juin 1832 et la barricade de la rue Saint-Denis. Victor Hugo estime même que c'est en quelque sorte là le cœur du roman[3]. Le premier livre replace les évènements dans le contexte historique de la situation insurrectionnelle à Paris au début de l'année 1832.
Ensuite se déroulent en parallèle plusieurs vies qui vont converger vers la rue de la Chanvrerie[4]. Victor Hugo précise d'abord le personnage d'Éponine, amoureuse déçue de Marius, ange du bonheur quand elle confie à Marius l'adresse de Cosette ou quand elle défend le domicile de celle-ci contre l'attaque de Thénardier et sa bande, ange du malheur quand elle cache à Marius la lettre de Cosette ou quand elle l'envoie sur la barricade. Éponine martyre de l'amour quand elle intercepte la balle destinée à Marius et qu'elle meurt dans ses bras.
L'auteur renoue ensuite avec le parcours de Jean Valjean et Cosette depuis leur entrée au couvent du Petit-Picpus. On assiste à l'éclosion de Cosette. À la remarque de la prieure du couvent, « Elle sera laide[5] » répond l'observation de la servante Toussaint « Mademoiselle est jolie[6] ». Grâce aux informations d'Éponine, l'idylle entre Cosette et Marius peut reprendre rue Plumet, initiée par une lettre d'amour (un cœur sous une pierre) et se poursuit jusqu'au départ précipité de Jean Valjean et Cosette pour la rue de l'Homme-Armé.
Victor Hugo complète ensuite le personnage de Gavroche, gamin des rues, spontané et généreux, capable de gestes gratuits (la bourse volée à Montparnasse et donnée à Mabeuf, l'aide apportée à l'évasion de son père). On le découvre aussi paternel et responsable quand il recueille dans l'éléphant de la Bastille les deux gamins perdus dont il ignore être le frère.
Tous les protagonistes de l'histoire, ou presque, convergent alors vers la barricade (fictive)[7] de la rue de la Chanvrerie[8] : les amis de l'ABC par conviction révolutionnaire, Mabeuf et Marius par désespoir, Éponine par amour, Gavroche par curiosité, Javert pour espionner et Jean Valjean pour sauver Marius.
La cinquième partie est celle de la mort et de l'effacement. Mort des insurgés sur la barricade qui a commencé à la fin du tome précédent par celle d'Éponine et de M. Mabeuf et qui se poursuit par celle de Gavroche puis par l'anéantissement de la barricade. Jean Valjean se situe comme un ange protecteur : ses coups de feu ne tuent personne, il se propose pour exécuter Javert, mais lui permet de s'enfuir et sauve Marius au dernier instant de la barricade.
Le sauvetage épique s'effectue par les égouts de Paris (l'intestin de Léviathan) que Victor Hugo décrit avec abondance. Échappant aux poursuites et à l'enlisement, Jean Valjean sort des égouts grâce à Thénardier, mais pour tomber dans les filets de Javert. Marius, sauvé, est reconduit chez son grand-père.
On assiste ensuite au suicide de Javert et à l'effacement de Jean Valjean. Javert en effet relâche Jean Valjean alors qu'il le raccompagnait, en reconnaissance du fait que Jean Valjean l'avait sauvé lors de l'attaque de la barricade, mais ce faisant Javert ne supporte pas d'avoir manqué à son devoir de policier scrupuleux, devoir qui lui impose de ne pas relâcher un suspect pour raison personnelle, ce qu'il a néanmoins fait. Ne pouvant supporter ce grave manquement à son devoir, et d'avoir remis en cause le principe supérieur qu'est pour lui l'obéissance à la hiérarchie, ni non plus le faire arrêter par des collègues, pour ensuite "se laver les mains comme Ponce-Pilate", il décide de mettre fin à ses jours en se jetant dans la Seine (chapitre Javert déraillé — titre d'avant-garde pour l'époque).
L'idylle entre Marius et Cosette se concrétise par un mariage. Jean Valjean s'efface peu à peu de la vie du couple, encouragé par Marius qui voit en lui un malfaiteur et un assassin. Marius n'est détrompé par Thénardier que dans les dernières lignes du roman et, confus et reconnaissant, assiste avec Cosette aux derniers instants de Jean Valjean.
Préoccupé par l'adéquation entre la justice sociale et la dignité humaine, Victor Hugo a écrit en 1829 Le Dernier Jour d'un condamné, long monologue et réquisitoire contre la peine de mort. Il poursuit en 1834 avec Claude Gueux. En 1845, alors qu'il vient d'être fait pair de France par le roi Louis-Philippe Ier, le peintre François-Auguste-Biard fait constater le flagrant délit d’adultère de sa femme Léonie avec le poète. Léonie est emprisonnée pendant deux mois dans la prison Saint-Lazare puis envoyée au couvent des Augustines. C'est cet événement qui, selon Sainte-Beuve, conduit Victor Hugo à se retirer chez lui[10] et à entreprendre une grande fresque épique qu'il intitule d'abord Les Misères, (ou Livre des Misères)[11] dans laquelle le personnage principal se nomme initialement « Jean Tréjean »[12]. De cette même année 1845, daterait également l'unique trace écrite conservée de ce qui peut ressembler à l'architecture synthétique d'un projet :
Il interrompt sa tâche en , mais écrit à la même époque son Discours sur la misère (1849).
Durant son exil, après la rédaction des Contemplations (1856) et de La Légende des siècles (1859), il se remet à l'écriture des Misérables, à Guernesey en 1860. Sur son manuscrit, il écrit : « . Ici, le pair de France s'est interrompu, et le proscrit a continué : . Guernesey [14]. » L'ouvrage est terminé et publié à partir de fin par l'éditeur Albert Lacroix, qui dispose d'un colossal budget de fabrication et de lancement, et qui fonde tous ses espoirs sur cet ouvrage[15].
Les Misérables est à la fois un roman d'inspiration réaliste, épique et romantique, un hymne à l'amour et un roman politique et social.
Roman réaliste[16], Les Misérables décrit tout un univers de gens humbles. C'est une peinture très précise de la vie dans la France et le Paris pauvre au début du XIXe siècle. Son succès populaire tient au trait parfois chargé avec lequel sont peints les personnages du roman.
Roman épique, Les Misérables dépeint au moins trois grandes fresques : la bataille de Waterloo (qui représente pour l'auteur, la fin de l'épopée napoléonienne, et le début de l'ère bourgeoise ; il s'aperçoit alors qu'il est républicain), l'émeute de Paris en juin 1832, la traversée des égouts de Paris par Jean Valjean. Mais le roman est aussi épique par la description des combats de l'âme : les combats de Jean Valjean entre le bien et le mal, son rachat jusqu'à son abnégation, le combat de Javert entre respect de la loi sociale et respect de la loi morale.
Les Misérables est aussi un hymne à l'amour : amour chrétien sans concession de Mgr Myriel qui, au début du roman, demande sa bénédiction au conventionnel G. (peut-être inspiré par l'abbé Grégoire[17]) ; amours déçues de Fantine et Éponine ; amour paternel de Jean Valjean pour Cosette ; amour partagé de Marius et Cosette. Mais c'est aussi une page de la littérature française dédiée à la patrie. Au moment où il écrit ce livre, Victor Hugo est en exil. Aidé depuis la France par des amis qu'il charge de vérifier si tel coin de rue existe, il retranscrit dans ce roman la vision des lieux qu'il a aimés et dont il garde la nostalgie[18].
Mais la motivation principale de Victor Hugo est le plaidoyer social. « Il y a un point où les infâmes et les infortunés se mêlent et se confondent dans un seul mot, mot fatal, les misérables ; de qui est-ce la faute ? » Selon Victor Hugo, c'est la faute de la misère, de l'indifférence et d'un système répressif sans pitié. Idéaliste, Victor Hugo est convaincu que l'instruction, l'accompagnement et le respect de l'individu sont les seules armes de la société qui peuvent empêcher l'infortuné de devenir infâme. Le roman engage une réflexion sur le problème du mal… Il se trouve que toute sa vie Hugo a été confronté à la peine de mort. Enfant, il a vu des corps pendus exhibés aux passants, plus tard, il a vu des exécutions à la guillotine. Un des thèmes du roman est donc « le crime de la loi ». Si l'œuvre montre comment les coercitions sociales et morales peuvent entraîner les hommes à leur déchéance si aucune solution de réédification n'est trouvée, c'est surtout un immense espoir en la générosité humaine dont Jean Valjean est l'archétype. Presque tous les autres personnages incarnent l'exploitation de l'homme par l'homme. L'exergue de Hugo est un appel à l'humanité pour qu'elle ne cesse d'œuvrer à des temps meilleurs :
« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »
— Victor Hugo, Hauteville-House, 1862.
Le choix du village de Montfermeil comme lieu de rencontre entre Cosette et Jean Valjean dans le roman remonte à 1845. Cette année là, pris en flagrant délit d'adultère, jeune pair de France, Victor Hugo est prié de s'éloigner quelque temps de Paris. Avec Juliette Drouet, il monte dans une diligence à Pantin qui prend la direction de Chelles, commune limitrophe de Montfermeil où il séjourne, dans l'auberge de l'ancienne abbaye. Son poème sur le moulin de Chelles, écrit lors de ce passage, se réfère au moulin de Montfermeil. En 1862, la publication du roman popularise la commune où situe l'auberge des Thénardier (Au Sergent de Waterloo)[19].
Robert Laffont et Valentino Bompiani signalent, dans Le Nouveau Dictionnaire des œuvres de tous les temps, la présence dans Les Misérables de l'influence de Balzac (La Comédie humaine), d'Eugène Sue (Les Mystères de Paris) et des romans-feuilletons[20].
L'intertextualité de l'œuvre de Balzac dans celle de Victor Hugo est en effet signalée par de nombreux analystes[21],[22]. Victor Hugo fait explicitement allusion, à plusieurs reprises[23] dans son roman, à l'univers de Balzac, qui fut un contemporain avec lequel les échanges furent nombreux[24]. On y reconnaît ainsi notamment celle du Curé de village avec lequel monseigneur Myriel présente des points communs[25]. De même que la parenté entre Vautrin et Jean Valjean (le second étant l'envers positif de l'autre) est assez évidente, le monde et les coutumes des bagnards étant décrits dans Splendeurs et misères des courtisanes[26], l'étude intertextuelle des Misérables révèle que le forçat se nourrit également d'un autre personnage balzacien, Farrabesche[25].
Selon Évelyne Pieiller[27], Les Mystères de Paris, roman-feuilleton à succès paru en 1842-1843, avec ses descriptions des bas-fonds parisiens, ouvre la voie à l'œuvre de Victor Hugo. Victor Hugo lui rend d'ailleurs hommage dans son roman[28] et poursuit sur la même route, s'attaquant à l'injustice sociale[27].
Victor Hugo s’est inspiré également de tout ce qu'il voyait et entendait autour de lui et qu’il notait dans ses carnets. Ainsi, le , il raconte avoir vu un malheureux emmené par deux gendarmes après avoir été accusé du vol d’un pain. « Cet homme, dit-il, n’était plus pour moi un homme, c’était le spectre de la misère. » Il s'agit probablement de l'inspiration du futur Jean Valjean[29]. En décembre de la même année, il assiste à une altercation entre une vieille femme et un gamin qui peut faire penser à Gavroche[30]. Quant à Fantine, elle pourrait lui avoir été inspiré par une « fille », comme l’on disait à l’époque, dont il prit la défense un soir de – au risque d’entacher sa réputation – alors qu’elle avait été injustement accusée et traînée au poste de police avec la menace de passer six mois en prison[14],[31]. Il s’informa également beaucoup en visitant la Conciergerie à Paris en 1846 et Waterloo. Le , il écrit à son fils François-Victor : « Je suis ici près de Waterloo. Je n’aurai qu’un mot à en dire dans mon livre, mais je veux que ce mot soit juste. Je suis donc venu étudier cette aventure sur le terrain, et confronter la légende avec la réalité. Ce que je dirai sera vrai. Ce ne sera sans doute que mon vrai à moi. Mais chacun ne peut donner que la réalité qu’il a [32]. » Il recueille des informations sur certaines industries, sur les salaires et le coût de la vie dans les classes populaires. Il demande à ses maîtresses Léonie d’Aunet et Juliette Drouet de le renseigner sur la vie des couvents [33].
Les relations entre Victor Hugo et l'univers du roman-feuilleton sont plus conflictuelles. Il ne veut pas que Les Misérables soit édité en roman-feuilleton, comme cela était l'usage pour de nombreux romans populaires, car il est alors en conflit avec le pouvoir en place et condamne la censure de la presse par le pouvoir. Il exige cependant que son œuvre soit publiée dans un format bon marché pour rester accessible. D'autre part, il trouve le style des romans-feuilletons souvent peu travaillé[34].
Les Misérables parait toutefois en feuilleton dans Le Rappel en 1888[35].
Enfin, homme de son temps, écrivant une histoire contemporaine, Victor Hugo s'inspire des figures de son époque pour camper ses personnages. Les Mémoires de Vidocq, parues en 1828, qui inspirèrent à Balzac le personnage de Vautrin, semblent se retrouver en partie dans les deux personnages antagonistes que sont Jean Valjean et Javert. Le premier correspondrait à Vidocq l'ancien forçat et le second à Vidocq, chef de sûreté de la préfecture de Police ; c'est, du moins, une observation faite par de nombreuses études[36],[37],[38]. Cependant, Victor Hugo ne reconnaîtra jamais l'influence de Vidocq sur la création de ces personnages[39].
Il s’amuse également à glisser des allusions toutes personnelles. Ainsi, en est-il pour ses maîtresses : Juliette Drouet inspire le nom de la « mère des Anges (Mlle Drouet), qui avait été au couvent des Filles-Dieu » (Deuxième partie, livre VI, chapitre VII) ; la clairière Blaru (Cinquième partie, livre V, chapitre IV) rappelle le pseudonyme Thérèse de Blaru dont Léonie d’Aunet signait ses livres. Plus intime encore, la date du , nuit de noces de Cosette et Marius (Cinquième partie, livre VI, chapitre I), fut aussi celle où Juliette se donna à Victor pour la première fois.
Les deux premiers tomes des Misérables sont publiés en 1862 : la première partie est publiée le à Bruxelles par les Éditions Albert Lacroix, Verboeckhoven et Cie, et le de la même année à Paris[40], à grand renfort de publicité, extraits de morceaux choisis dans les journaux et critiques élogieuses[41]. Les parties deux et trois paraissent le , les parties quatre et cinq sortent le . À cette époque, Victor Hugo est considéré comme un des premiers hommes de lettres français de son siècle et le public se précipite pour lire son nouveau roman.
Les réactions sont diverses. Certains le jugent immoral, d'autres trop sentimental, d'autres encore trop complaisant avec les révolutionnaires[42]. Sainte-Beuve se lamente : « Le goût du public est décidément bien malade. Le succès des Misérables a sévi et continue de sévir au-delà de tout ce qu’on pouvait craindre. » Toutefois, il concède que « son roman […] est tout ce qu’on voudra, en bien , en mal, en absurdités ; mais Hugo, absent et exilé depuis 11 ans, a fait acte de présence, de force et de jeunesse. Ce seul fait est un grand succès. » Il reconnaît enfin à Hugo cette qualité suprême : « Ce qu’il invente de faux et même d’absurde, il le fait être et paraître à tous les yeux [43]. » Les frères Goncourt expriment leur profonde déception, jugeant le roman très artificiel et très décevant[44],[45]. Flaubert n'y trouve « ni vérité ni grandeur[46] ». Baudelaire fait publier une critique très élogieuse[47] de la première partie dans un journal (louant tout particulièrement le chapitre « Tempête sous un crâne »), mais dans une lettre à sa mère, il qualifiera Les Misérables de « livre immonde et inepte »[48]. Lamartine en condamne les impuretés de langue, le cynisme de la démagogie : « Les Misérables sont un sublime talent, une honnête intention et un livre très dangereux de deux manières : non seulement parce qu'il fait trop craindre aux heureux, mais parce qu'il fait trop espérer aux malheureux »[49]. Cette crainte est partagée par Barbey d'Aurevilly qui stigmatise le « livre le plus dangereux de son temps »[50]. Dans une lettre à son fils de , Dumas père regrette que ce livre soit « tout à la fois une œuvre ennuyeuse, mal rêvée dans son plan, mal venue dans son résultat », ajoutant : « Chaque volume commence par une montagne et finit par une souris [51]. » L’évêque Louis-Gaston de Ségur rédige une critique sur Victor Hugo et « son infâme livre des misérables [qui] lui a rapporté d’un coup cinq cent mille francs. » En l’auteur ne manquera pas de lui adresser une réponse au vitriol [52]. Les Goncourt notent que le livre a été « une grande déception. » Ils expliquent : « Titre injustifié : point la misère, pas d’hôpital, prostituée effleurée. Rien de vivant : les personnages sont en bronze, en albâtre, en tout, sauf en chair et en os. Le manque d’observation éclate et blesse partout. » Et puis, ajoutent-ils, il est « assez amusant de gagner deux cent mille francs […] à s’apitoyer sur les misères du peuple ! » [53]
Le livre connaît cependant un grand succès populaire. Traduit dès l'année de sa parution, grâce aux efforts d'Albert Lacroix qui ouvre des filiales en Europe, en plusieurs langues (italien, grec, portugais), il reçoit dans chaque pays où il est publié, de la part des lecteurs, un accueil triomphal[54],[55]. Impatient de connaître la première réaction des lecteurs anglais à la sortie du livre, Victor Hugo envoya à ses éditeurs Hurst & Blackett un télégramme dont le contenu se résumait à « ? ». La réponse de ses correspondants fut non moins laconique : « ! » [56],[57].
L'auteur lui-même accorde une grande importance à ce roman. En , il informe son fils François-Victor qu'il a terminé l'ouvrage et affirme : « Je peux mourir. » [58] Il écrit en , à son éditeur Lacroix : « Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre »[59].
D'après Pascal Melka (« Victor Hugo, un combat pour les opprimés. Étude de son évolution politique »[60]), dans Les Misérables, Victor Hugo a fait revenir le langage populaire dans la littérature. Il emploie l'argot et va jusqu'à consacrer un chapitre à philosopher sur le mot de Cambronne, « le plus beau mot peut-être qu’un Français ait jamais dit ». Tout ceci faisait naturellement scandale dans l'opinion classique. Voici comment Victor Hugo se justifie :
Le roman fourmille de personnages. Nombre d'entre eux font une courte apparition et retournent dans l'oubli. C'est une volonté délibérée de Victor Hugo : il cherche à démontrer que la misère est anonyme[61]. Cet oubli est particulièrement prégnant dans le cas de la sœur de Jean Valjean et ses sept enfants :
« C’est toujours la même histoire. Ces pauvres êtres vivants, ces créatures de Dieu, sans appui désormais, sans guide, sans asile, s’en allèrent au hasard, qui sait même ? chacun de leur côté peut-être, et s’enfoncèrent peu à peu dans cette froide brume où s’engloutissent les destinées solitaires, mornes ténèbres où disparaissent successivement tant de têtes infortunées dans la sombre marche du genre humain. Ils quittèrent le pays. Le clocher de ce qui avait été leur village les oublia ; la borne de ce qui avait été leur champ les oublia ; après quelques années de séjour au bagne, Jean Valjean lui-même les oublia. »
— Victor Hugo, Les Misérables, tome I, livre 2, chapitre 6
Parmi les nombreux personnages que l'on voit apparaître et disparaître, on peut encore citer le Petit-Gervais, Azelma, les frères de Gavroche, Mme Magloire, Mlle Baptistine. Il reste cependant un nombre restreint de personnages dont les destins se croisent et qui font partie du cœur de l'action :
En périphérie, Victor Hugo s'attache à certaines autres figures jusqu'à leur consacrer un livre ou plusieurs chapitres. Ces personnages lui servent d'argumentaires pour son plaidoyer ou d'articulation pour son roman.
Marie-Hélène Sabard (Classiques abrégés) a écrit un résumé des Misérables[Quand ?].
Le roman est adapté en bande dessinée par deux fois :
une première fois sous le titre Le Mystère des chandeliers par Giovan Battista Carpi, parue en France en 1991. Les personnages du roman y sont incarnés par les personnages traditionnels de la famille Duck: on retrouve ainsi Picsou renommé Picaljean et Donald Pontmercy représentant Marius. Thénardier est représenté par Pat Hibulaire, Cosette est d'abord Zaza (jeune) puis Daisy (dix ans après), et Gavroche et ses frères apparaissent sous les traits de Riri, Fifi et Loulou.
une seconde fois sous le titre original. Parue en 2006 aux éditions Glénat, les dessins sont de Bernard Capo, le scénario de Daniel Bardet et les couleurs d'Arnaud Boutle.
François Cérésa a donné en 2001 une suite controversée aux Misérables, avec deux livres intitulés Cosette ou le temps des illusions et Marius ou le fugitif. Des descendants de Victor Hugo ont attaqué l'auteur en la justice, mais ont finalement été déboutés[65].
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