À partir des années 1950, il occupe une place en vue dans la sociologie française. Sociologue de la pensée complexe il définit sa façon de penser comme « constructiviste »[1] en précisant : « c’est-à-dire que je parle de la collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité »[2]. Il est également connu pour son engagement politique communiste puis socialiste. [3]
Edgar Nahoum nait à Paris en 1921. Ses parents sont des Juifs originaires de Salonique de lointaine ascendance italienne[4]. Il grandit dans un environnement non pratiquant, sa famille étant « moderne et laïcisée depuis trois générations »[4]. Fils unique, il perd sa mère à dix ans, son père est commerçant.
Militant antifasciste en Espagne puis résistant communiste en France
Il entre en 1942 dans la Résistance communiste au sein des Forces unies de la jeunesse patriotique. Il intègre ensuite le mouvement de Michel Cailliau, le MRPGD (Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés). En 1943, il est commandant dans les Forces françaises combattantes et est homologué comme lieutenant[7]. Son mouvement fusionne avec celui de François Mitterrand, il devient le MNPGD (Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés). Il adopte alors le pseudonyme de Morin (l'anecdote – confirmée par Edgar Morin lui-même lors d'une émission sur France Inter[8] – veut que, lors d'une réunion de résistants à Toulouse, le jeune Edgar Nahoum s'est présenté sous le nom d'Edgar Monin en référence à l'avocat Paul Monin, compagnon de Malraux en Indochine. Mais une camarade avait compris « Morin » et il n'avait pas cherché à rectifier[9]). Il devient attaché à l'état-major de la 1re Armée française en Allemagne (1945), puis chef du bureau « Propagande » dans le gouvernement militaire français (1946). À la Libération, il écrit L'An zéro de l’Allemagne où il dresse un état des lieux de l'Allemagne, insistant sur l'état mental du peuple vaincu, en état de « somnambulisme », en proie à la faim et aux rumeurs. Ce livre arrive au moment du tournant communiste, où après la stigmatisation de la culpabilité allemande, Staline déclare qu'Hitler passe et que le peuple allemand reste. Maurice Thorez l'invite à écrire dans l'hebdomadaire Les Lettres françaises. Membre du Parti communiste français depuis 1941, il s'en éloigne à partir de 1949 et en est exclu en 1951, pour avoir écrit un article dans le journal France Observateur. « Ce fut comme un chagrin d'enfant, énorme et très court », dira-t-il.
Études
Comme il l'indique dans un entretien pour la revue CNRS Le Journal, il est avant tout autodidacte, titulaire d'une licence en histoire et géographie et d'une licence en droit. Il indique avoir suivi des cours de philosophie, d'économie et de sciences-politiques, disciplines pour lesquelles il n'a pas obtenu de diplômes. Il indique par ailleurs : « J'ai pourtant fait une carrière au CNRS. J'ai été élu maître de recherche sans avoir écrit de thèse de doctorat »[10].
Compagnon de route du Parti communiste puis du Parti socialiste
Edgar Morin indique avoir été membre du Parti communiste jusqu'en 1950. Il est alors proche de nombreux intellectuels « compagnons de route » de ce parti comme Georges Friedmann ou Jean-Paul Sartre. À partir des années 1980, il est ouvertement proche du Parti socialiste. Il a d'ailleurs co-écrit un ouvrage où il ne cache pas sa sympathie pour ce parti avec François Hollande[11],[12].
En 1965, il conduit une étude transdisciplinaire, au sein d'une vaste recherche de la DGRST, mobilisant de multiples disciplines, sur une commune en Bretagne, publiée sous le nom de La Métamorphose de Plodémet (1967), sur la commune de Plozévet (Finistère) où il séjourne près d'un an. Ce fut un des premiers essais d’ethnologie dans la société française contemporaine.
Durant les années 1960, il part près de deux ans en Amérique latine où il enseigne à la Faculté latino-américaine des sciences sociales de Santiago du Chili. En 1969, il est invité à l'Institut Salk de San Diego. Il y retrouve Jacques Monod, l'auteur du Hasard et la Nécessité et conçoit les fondements de la pensée complexe et de ce qui deviendra sa Méthode.
Morin a écrit plusieurs ouvrages revenant sur son passé, dont Autocritique en 1959, Vidal et les siens en 1989, Itinérance en 2006, Mon chemin en 2008 et Les souvenirs viennent à ma rencontre en 2019.
Vie familiale
En 1946, il épouse la philosophe Violette Chapellaubeau avec qui il aura deux filles, Irène Nahoum et Véronique. En 1970, il épouse Johanne Harelle. En 1982, il épouse Edwige Lannegrace dont il est veuf en 2008[15]. Depuis 2012, il est marié à la sociologue Sabah Abouessalam[16], avec qui il a rédigé le livre L'homme est faible devant la femme (Presses de la Renaissance, 2013), puis en 2020 Changeons de voie - Les leçons du coronavirus (Denoël, 2020).
Prises de position
Edgar Morin se déclare agnostique, se qualifiant « d'incroyant radical »[17].
Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la décennie de la culture de paix et de non-violence. Il apprécie, à cet égard, le bouddhisme qui est une religion sans dieu.
Il s'intéresse de plus en plus au processus de la mondialisation où « le vaisseau spatial terre est propulsé par trois moteurs couplés science/technique/économie, mais est dépourvu de pilote, ce qui prépare deux avenirs antagonistes, l'un de catastrophes (dégradation de la biosphère, multiplication des armes nucléaires, économie soumise à la spéculation financière, crise des civilisations traditionnelles et crise de la civilisation occidentale, multiplication des conflits et des fanatismes), l'autre de « transhumanisme » permettant de retarder la mort sans vieillir et de confier aux robots toutes les tâches ennuyeuses et pénibles. Mais cette dernière perspective d'homme augmenté, purement quantitative, ignore la nécessité d'un énorme progrès moral et intellectuel pour éviter les catastrophes et ne pas soumettre l'humanité à une algorithmisation qui la robotiserait »[18].
En 2002, il participe à la fondation du Collegium international éthique, politique et scientifique, sous la présidence de Milan Kucan, président de la République de Slovénie, et dont Sacha Goldmann, Michel Rocard, puis Stéphane Hessel, furent successivement secrétaires généraux, avec l'ambition de convaincre les nations et l'ONU d'œuvrer à une coopération internationale pour trouver les réponses éthiques et appropriées qu'attendent les peuples du monde face aux nouveaux défis de notre temps[19].
Il participe à la création en mars 2012 du collectif Roosevelt 2012 avec l'aide de Stéphane Hessel, Michel Rocard et de nombreux intellectuels et personnalités publiques de la société civile et politique. Ce collectif présente 15 propositions pour éviter un effondrement économique, élaborer une nouvelle société, lutter contre le chômage endémique et créer une Europe démocratique[20].
En 2013, il soutient publiquement le chef Raoni dans son combat contre le barrage de Belo Monte. Il participe avec ce dernier et de nombreux autres intellectuels, juristes et politiques au lancement d'un tribunal moral pour les crimes contre la nature et le futur de l'humanité[21] lors de la Conférence « Rio+20 ». En 2013, il s'associe avec la tribune publiée par le mouvement End ecocide in Europe et cosignée par douze autres intellectuels[22] soutenant l'initiative citoyenne européenne « Arrêtons l'écocide en Europe ». En 2019, il déclare que c'est le pouvoir de l'argent qui est à l'origine de la dégradation de l'écologie[23].
Le , le nom d'Edgar Morin est donné au lycée d'excellence de Douai qui devient ainsi le lycée d'excellence Edgar-Morin.
Le , il fait partie des premiers signataires, avec d'autres personnalités, d'une pétition demandant que la France accueille Edward Snowden et Julian Assange, à la suite de la lettre ouverte de ce dernier au président de la République François Hollande.
Prenant position sur le conflit israélo-palestinien, il considère que « les juifs d'Israël, descendants des victimes d'un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. [...] On a peine à imaginer qu'une nation de fugitifs, issue du peuple le plus persécuté de l'histoire de l'humanité […] soit capable de se transformer, en deux générations [...] à l'exception d'une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier »[24]. Le sociologue pense qu'il y a eu, de 2018 à 2020, de fortes interactions entre le déchainement de l'anti-islamisme et la recrudescence de l'ancien antisémitisme, celui-ci étant lié à un nouvel antijudaïsme issu de la politique d’Israël et répandu dans le monde arabe. Toutefois, selon lui, l'accusation d'antisémitisme demeure brandie de façon intempérante et indue par les défenseurs intégristes de la politique colonisatrice israélienne pour toute critique de cette politique[réf. nécessaire]. Ses déclarations au sujet du conflit israélo-palestinien lui ont valu d’être attaqué en justice pour « antisémitisme » par les associations pro-israéliennes Avocats sans frontières et France-Israël[25].
« La pensée est le capital le plus précieux pour l'individu et la société[26]. »
La pensée qui relie
Edgar Morin utilise le terme de « reliance » pour indiquer le besoin de relier ce qui a été séparé, disjoint, morcelé, détaillé, compartimenté, classé, trié... en disciplines, écoles de pensée, etc.
Il aime aussi envisager les choses dans une combinaison de confrontation, complémentarité, concurrence, coopération, les quatre en étroite synergie dynamique.
Il prône l'attitude d'ouverture. Il aime à dire qu'il est animé par un certain "esprit de la vallée", en référence au Tao. L'esprit de la vallée recueille les « eaux » qui viennent de différents versants.
Il a avancé sept principes-guides pour une pensée qui relie, principes qui sont complémentaires et interdépendants[27].
Le principe systémique ou organisationnel : L'idée systémique est à l'opposé de l'idée réductionniste car « le tout est plus que la somme des parties ». Les émergences, qualités ou propriétés nouvelles apparaissent dans l'organisation d'un nouveau produit que les composants ne possédaient pas. « Le tout est moins que la somme des parties » également car certaines qualités des composants sont inhibées par l'organisation de l'ensemble.
Le principe hologrammatique : Chaque cellule est une partie d'un tout — l'organisme global —, mais le tout est lui-même dans la partie : la totalité du patrimoine génétique est présente dans chaque cellule individuelle ; la société est présente dans chaque individu-citoyen, en tant que tout, à travers son langage, sa culture, ses normes...
Le principe de boucle rétroactive : « L'effet agit sur la cause » referme le processus de causalité de linéarité ouverte « la cause agit sur l'effet ». Comme dans un système autonome de chauffage où le thermostat régule le fonctionnement. Comme l'homéostasie des organismes vivants.
Le principe de boucle récursive : C'est une boucle génératrice dans laquelle les produits et les effets sont eux-mêmes producteurs et causateurs de ce qui les produit. Chaque être vivant est produit et producteur dans le système de reproduction. Les individus produisent la société dans et par leurs interactions, et la société, en tant que tout émergeant, produit l'humanité des individus en leur apportant le langage et la culture[28].
Le principe d'autonomie / dépendance (auto-éco-organisation) : Les [choses] vivantes sont des [systèmes] auto-organisateurs qui sans cesse s'auto-produisent et par là-même dépensent de l'énergie pour entretenir leur autonomie et doivent donc puiser de l'énergie dans leur milieu, dont elles dépendent pour être autonomes.
Le principe dialogique : [Ce principe] unit deux notions devant s'exclure l'une l'autre, mais qui sont indissociables en une même réalité. La dialogique « ordre / désordre / organisation » dès la naissance de l'Univers. Les particules physiques comme une dialogique (onde et corpuscule). La dialogique (individu / société / espèce) présente en chaque être humain.
Le principe de réintroduction du connaissant dans toute connaissance : Tout objet-machine, tout objet-processus inventés contient du « sujet » qui les a conçus. De la perception à la théorie scientifique, toute connaissance est une reconstruction / traduction pour un esprit / cerveau dans une culture et un temps donnés.
« L'humanisme ne saurait plus être porteur de l'orgueilleuse volonté de dominer l'Univers. Il devient essentiellement celui de la solidarité entre humains, laquelle implique une relation ombilicale avec la nature et le cosmos. »
Ce concept, dont la première formulation se trouve dans le livre Science avec conscience (1982)[30], exprime une forme de pensée acceptant les imbrications de chaque domaine de la pensée et la transdisciplinarité. Le terme de complexité est pris au sens de son étymologie « complexus » qui signifie « ce qui est tissé ensemble » dans un enchevêtrement d'entrelacements (plexus).
Le Paradigme perdu
En septembre 1972, au Centre international d'études bioanthropologiques et d'anthropologie fondamentale (CIEBAF) devenu ensuite le Centre Royaumont pour une science de l'homme, Edgar Morin co-organise le colloque international L'Unité de l'Homme, avec Jacques Monod et Massimo Piatelli-Palmarini. Sa communication, Le Paradigme perdu : la nature humaine, transformée et enrichie, deviendra un livre qui paraîtra l'année suivante. Il y est dit que nature et culture sont indissociables l'une de l'autre, chacune produisant l'autre dans une boucle récursive permanente.
Ont été réunis des biologistes, anthropologues, sociologues, mathématiciens, cybernéticiens afin de faire se rapprocher (reliance) les points de vue, les oppositions et les options fondamentales des spécialités et de leurs épistémologies.
Un ouvrage en trois tomes réunit les contributions des participants au colloque[31] :
T1 : Le primate et l'homme,
T2 : Le cerveau humain,
T3 : Pour une anthropologie fondamentale.
La Méthode
La Méthode est l'œuvre majeure d'Edgar Morin. Comprenant six volumes au total (qui peuvent être lus dans le désordre), on pourrait la qualifier d'encyclopédie (qui met en cycle les savoirs) : la méthode y est déroulée de façon cyclique, pour ne pas dire répétitive, s'appliquant à de nombreuses notions dont certaines sont reprises ci-après.
Le premier tome, intitulé La Nature de la nature, où sont traités les concepts d'ordre et de désordre, de système, d'information, etc. du monde physique.
Le second, intitulé La Vie de la vie, aborde le vivant, la biologie.
Le troisième et le quatrième tomes pourraient être regroupés en un seul[Selon qui ?] puisqu'ils abordent le thème de la connaissance.
Le troisième est intitulé La Connaissance de la connaissance. Il aborde la connaissance du point de vue anthropologique. Il y ouvre le chantier de l'épistémologie complexe.
Le quatrième tome de La Méthode, Les Idées, d'après les mots d'Edgar Morin, « pourrait aussi en être le premier ». En effet, « il constitue l'introduction la plus aisée à « la connaissance de la connaissance » et de façon inséparable au problème et à la nécessité d'une pensée complexe ». Il complète l'œuvre épistémologique du troisième tome en abordant la connaissance du point de vue collectif ou sociétal (« l'organisation des idées »), puis au niveau de la « vie des idées », qu'il appelle la noologie. Il traite en particulier dans un dernier chapitre des notions philosophiques de langage, de logique et de paradigme, auxquelles il applique sa méthode.
Dans une note de lecture[32], Jean-Louis Le Moigne souligne l'importance du dernier chapitre de ce tome 4 qu'Edgar Morin consacre à « la Paradigmatologie » : « encore un néologisme nouveau, dira-t-on ? Sans doute, mais il me semble si fécond pour nous permettre d'entendre la richesse de l'univers pensable sans commencer par l'appauvrir en la simplifiant ». Jean-Louis Le Moigne cite pour conclure Edgar Morin : « Nous en sommes au préliminaire dans la constitution d'un paradigme de complexité lui-même nécessaire à la constitution d'une paradigmatologie. Il s'agit non de la tâche individuelle d'un penseur mais de l'œuvre historique d'une convergence de pensées. » Selon les mots de Morin, la paradigmatologie est « le niveau qui contrôle tous les discours qui se font sous son emprise et qui oblige les discours à obéir ».
Le cinquième tome (L'Humanité de l'humanité, L'Identité humaine) est consacré à la question de la trinité humaine : Individu - Société - Espèce.
La Méthode se termine par un sixième tome intitulé L'Éthique, qui envisage les incertitudes et les contradictions éthiques et prône une éthique de la compréhension.
Conscience planétaire et politique de civilisation
Edgar Morin intervenant au forum Libération (2008).
Avec Terre-Patrie, écrit en 1993, (avec Anne-Brigitte Kern), Edgar Morin en appelle à une « prise de conscience de la communauté du destin terrestre », véritable conscience planétaire : « C'est en Californie, en 1969-1970, que des amis scientifiques de l'université de Berkeley m'ont éveillé la conscience écologique », rapporte-t-il, avant de s'alarmer : « Trois décennies plus tard, après l'assèchement de la mer d'Aral, la pollution du lac Baïkal, les pluies acides, la catastrophe de Tchernobyl, la contamination des nappes phréatiques, le trou d'ozone dans l'Antarctique, l'ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans, l'urgence est plus grande que jamais ».
En 2007, il est l'auteur de L'An I de l'ère écologique : la Terre dépend de l'homme qui dépend de la Terre. Le livre comporte un dialogue avec Nicolas Hulot.
Cette conscience doit s'accompagner pour Edgar Morin d'une nouvelle « politique de civilisation », pour sortir de cet « âge de fer planétaire... préhistoire de l'esprit humain »[33].
La politique de civilisation, explique Edgar Morin, « vise à remettre l’homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être »[34]. L'économiste Henri Bartoli appelle d'ailleurs à replacer l’homme au centre de l'économie (l'économie doit être au service de la vie et non l'inverse)[35]. Plus concrètement, partant du constat que la civilisation moderne génère souvent mal-être profond et individualisme, il propose de s'attacher « à régénérer les cités, à réanimer les solidarités, à susciter ou ressusciter des convivialités, à régénérer l'éducation »[36].
L'expression « politique de civilisation » a été reprise par le président de la République française Nicolas Sarkozy, lors de ses vœux du 31 décembre 2007[37]. Edgar Morin s'est montré très nuancé quant à cette utilisation du concept : « Je ne peux exclure que M. Sarkozy réoriente sa politique dans ce sens, mais il ne l'a pas montré jusqu'à présent et n'en donne aucun signe. »[38][source insuffisante], « J’ai deux désaccords très importants avec Sarkozy : sur la politique extérieure, où je vois un alignement sur Bush ; et sur l’intérieur et la politique inhumaine envers les immigrés. Pour le reste, il y a une marge d’incertitude et il peut évoluer.[...] Le chef de l’État est un personnage plastique, en mouvement. Il n’a pas encore pris conscience du caractère radical d’une politique de civilisation. »[39][source insuffisante]
Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur
Edgar Morin, dans son avant-propos, classe cet opus comme l'ultime d'une trilogie :
La tête bien faite. Repenser la réforme, réformer la pensée, 1999,
Relier les connaissances, 1999,
Les Sept Savoirs nécessaires à l'éducation du futur, 2000.
Il y dégage les 7 thèmes qui doivent devenir fondamentaux dans les enseignements.
Penser la crise : l'abîme ou la métamorphose ?
La réflexion d’Edgar Morin[40] plonge au cœur des mouvements de l’histoire, faite de sauts et de soubresauts, loin de l’idée de progrès linéaire, comme il l’explique à un journaliste de Sciences humaines au cours d’une conférence de décembre 2008[41] : « La réflexion sur le monde d’aujourd’hui ne peut s’émanciper d’une réflexion sur l’histoire universelle. Les périodes calmes et de prospérité ne sont que des parenthèses de l’histoire. Tous les grands empires et civilisations se sont crus immortels – les empires mésopotamien, égyptien, romain, perse, ottoman, maya, aztèque, inca… Et tous ont disparu et ont été engloutis. Voilà ce qu’est l’histoire : des émergences et des effondrements, des périodes calmes et des cataclysmes, des bifurcations, des tourbillons des émergences inattendues. »
Et parfois, ajoutera-il à la fin de sa conférence : « Au sein même des périodes noires, des graines d’espoir surgissent. Apprendre à penser cela, voilà l’esprit de la complexité. »
Edgar Morin sur le tournage de Edgar Morin, Chronique d'un regard.
À son entrée au CNRS en 1950, encore très influencé par ses recherches pour son livre L'Homme et la Mort, qui lui révèlent l'importance de l'imaginaire et du mythe, il commence à étudier le cinéma. Il participe alors à la Revue internationale de filmologie et publiera en 1956 Le Cinéma ou l'Homme imaginaire, dans lequel il analyse le dispositif de la projection cinématographique et développe le concept de projection-identification, qui permet au spectateur à la fois de se projeter dans l'image cinématographique, en même temps qu'il s'identifie aux personnages sur l'écran. Selon lui, le spectateur voit sur l'écran des ombres, des doubles de personnages réels, qui se chargent par la projection de puissances quasi magiques, à l'instar des fantômes ou des revenants des mythologies anciennes. Le texte considéré alors par certains comme acte fondateur de l'histoire culturelle du cinéma fait aussi le constat du retard accumulé par les sciences humaines dans l'appréhension du cinéma[42].
L'année suivante, dans Les Stars[43], il poursuit son analyse du phénomène de divinisation des stars par le public, partant des stars du muet, magnifiées et inaccessibles, jusqu'aux stars modernes, devenues plus humaines, jusque dans l'exposition de leurs faiblesses.
Edgar Morin poursuit son étude du cinéma dans de nombreux articles, entre autres pour la revue La Nef.
En 1960, Edgar Morin coréalise avec Jean Rouch le film Chronique d'un été, qui jette les bases du cinéma-vérité. Les deux réalisateurs s'attachent à la question du bonheur, en suivant divers personnages, principalement des jeunes gens, étudiants ou ouvriers, à Paris, au cours de l'été 1960. Parmi ces jeunes gens se trouvent, alors inconnus, Marceline Loridan-Ivens, Régis Debray, Marilù Parolini (France Culture diffusera en 1991 une importante émission de Jean-Pierre Pagliano en 25 épisodes : Chronique d'un été, 30 ans après, avec J. Rouch et E. Morin, qui prolonge les interrogations du film et fait le point sur l'apport du « cinéma-vérité »).
Edgar Morin est ensuite sollicité pour écrire le scénario de L'Heure de la vérité, pour le cinéaste Henri Calef, qui doit raconter l'histoire d'un ancien nazi, chef de camp de concentration, qui s'est réfugié en Israël sous l'identité d'un déporté qu'il a supprimé. Le film se tourne en Israël, avec Karlheinz Böhm, Daniel Gélin et Corinne Marchand, mais la collaboration avec Henri Calef se passe mal et Edgar Morin retirera son nom des dialogues du film, apparaissant au générique sous le pseudonyme de Beressi, qui est le nom de jeune fille de sa mère.
Edgar Morin revient sur l'aspect fondateur du cinéma dans son parcours intellectuel, dans le film de Céline Gailleurd et Olivier Bohler, Edgar Morin, chronique d'un regard[44], qui est salué par un bel accueil critique en avril 2015. Le film suit le cinéaste à Paris et Berlin, en conférence et dans divers musées, comme le Filmmuseum Berlin et le musée du quai Branly. De nombreux extraits inédits de Chronique d'un été permettent de mieux comprendre la gestation de ce projet, de même que le livre de Séverine Graff qui revient sur la généalogie et l'accueil complexe du film[45].
Art et esthétique
En 2016, il consacre un ouvrage à l'esthétique, qui examine le problème de la création artistique et des arts.
Le Collegium international éthique, politique et scientifique
Edgar Morin compte également parmi les membres fondateurs du Collegium international éthique, politique et scientifique, association regroupant des scientifiques, intellectuels, anciens chefs d'État ou de gouvernement, qui souhaitent apporter des réponses intelligentes et appropriées à l'échelle mondiale aux nouveaux défis de notre temps.
Le 4 juin 2002, Edgar Morin publie dans le journal Le Monde, avec Sami Naïr et Danièle Sallenave, une retentissante tribune libre intitulée « Israël-Palestine : le cancer »[46]. Cet article y développe l'idée que « ce cancer israélo-palestinien s'est formé, d'une part, en se nourrissant de l'angoisse historique d'un peuple persécuté par le passé et de son insécurité géographique ; d'autre part, du malheur d'un peuple persécuté dans son présent et privé de droit politique ».
Il critique « l'unilatéralisme » que porte la vision israélienne des choses. Pour lui, « c'est la conscience d'avoir été victime qui permet à Israël de devenir oppresseur du peuple palestinien. Le terme Shoah qui singularise le destin victimaire juif et banalise tous les autres (ceux du Goulag, des Tsiganes, des Arméniens, des Noirs esclavagisés, des Indiens d'Amérique) devient la légitimation d'un colonialisme, d'un apartheid et d'une ghettoïsation pour les Palestiniens ».
Cet article valut à Edgar Morin et à ses coauteurs un procès pour « diffamation raciale et apologie des actes de terrorisme » intenté par les associations France-Israël et Avocats sans frontières. Ces associations obtinrent la condamnation[47] du philosophe par la cour d'appel de Versailles, mais ce jugement fut cassé par un arrêt définitif de la Cour de cassation[48] qui a reconnu que la tribune incriminée relevait de la liberté d'expression de ses auteurs[49].
« La vieillesse est comme une marche, un escalier qu'on monte, pas un escalier qu'on descend vers la tombe. C'est un escalier qu'on monte où chaque marche qui vient a plus de valeur compte tenu des marches déjà franchies. L'expérience donne plus de valeur à la marche suivante. Donc c'est une quête, le vieillissement, d'un changement permanent »[réf. nécessaire].
Œuvres
Couverture de la traduction espagnole d'Amour, Poésie, Sagesse d'Edgar Morin.
Les ouvrages d'Edgar Morin ont été traduits en 28 langues et dans 42 pays.
1977 : La Nature de la nature, t. 1, Paris, Le Seuil, coll. « Points », , 414 p. (ISBN978-2-02-005771-4). Nouvelle édition : 1981.
1980 : La Vie de la vie, t. 2, Paris, Le Seuil, coll. « Points », , 482 p. (ISBN978-2-02-008648-6). Nouvelle édition : 1985.
1986 : La Connaissance de la connaissance, t. 3, Paris, Le Seuil, coll. « Points », , 255 p. (ISBN978-2-02-014440-7). Nouvelle édition : 1992.
1991 : Les Idées : Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, t. 4, Paris, Le Seuil, coll. « Points », , 267 p. (ISBN978-2-02-023960-8). Nouvelle édition : 1995.
2001 : L’Humanité de l’humanité : L’identité humaine, t. 5, Paris, Le Seuil, coll. « Points », , 384 p. (ISBN978-2-02-061644-7)
Dialogue sur la nature humaine (avec Boris Cyrulnik), Paris, L'Aube, 2000.
Journal de Plozévet, Bretagne, 1965, Paris, L'Aube, 2001.
Dialogue sur la connaissance. Entretiens avec des lycéens (entretiens conçus et animés par Alfredo Pena-Vega et Bernard Paillard), Paris, La Tour d’Aigues, 2002.
La Violence du monde (avec Jean Baudrillard), Paris, Édition du Félin, 2003.
Éduquer pour l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine (avec Raul Motta et Émilio-Roger Ciurana), Paris, Balland, 2003.
Université, quel avenir ? (avec Alfredo Pena-Vega), Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2003.
Les Enfants du ciel : entre vide, lumière, matière (avec Michel Cassé), Paris, Odile Jacob, 2003.
Pour entrer dans le XXIe siècle, Paris, Le Seuil, 2004.
Culture et Barbarie européennes, Paris, Bayard, 2005.
Vive la politique ? (avec Claude Lefort), Grenoble, Forum Libération de Grenoble, 2008.
La Méthode, coffret des 6 volumes en 2 tomes, Paris, Le Seuil, 2008.
Crises, Paris, Éditions du CNRS, 2009.
La Pensée tourbillonnaire, Paris, Éditions Germina, 2009.
Edwige, l'inséparable, Paris, Fayard, 2009.
Au-delà du développement. Pour une politique de l'humanité ? [sous la dir. de], Paris, Atlantique, 2009.
Pour et contre Marx, Paris, Temps présent, 2010[59], (réédition, Paris, Flammarion, 2012).
Ma gauche, Paris, Éditions François Bourin, 2010.
Comment vivre en temps de crise ? (avec Patrick Viveret), Paris, Bayard, 2010.
Regards sur le sport [sous la dir. de], Paris, Le Pommier / INSEP 2010. (Réédition revue et augmentée sous le titre Le sport porte en lui le tout de la société, Paris, Cherche-Midi / INSEP 2020. (ISBN978-2749165134))
La Voie : pour l'avenir de l'humanité, Paris, Fayard, 2011.
L'Urgence et l'Essentiel (avec Tariq Ramadan), Paris, Éditions Don Quichotte, 2017.
Le temps est venu de changer de civilisation (avec Denis Lafay), Paris, L'Aube, 2017.
Où est passé le peuple de gauche ?, Paris, L'Aube, 2017[60].
Ce que fut le communisme, Paris, L'Aube, 2017.
Pour résister à la régression, Paris, L'Aube, 2018.
Le Cinéma : Un art de la complexité, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2018[61].
Poésies du métropolitain, Paris, Descartes & Cie, 2018.
La Marseillaise, Paris, L'Aube, 2019.
La Fraternité, pourquoi ?, Paris, L'Aube, 2019.
Chronique d'un été (avec Jean Rouch), Paris, L'Aube, 2019.
Les souvenirs viennent à ma rencontre, Paris, Fayard, 2019[62],[63]
Quelle école voulons-nous ? La Passion du savoir (avec Jean-Michel Blanquer), Paris, Éditions Odile Jacob, 2020.
Sur la crise : Pour une crisologie suivi de Où va le monde ?, Paris, Éditions Flammarion, coll. Champs, 2020, réunion de deux textes anciens, le premier datant de 2016 le deuxième de 1981.
Changeons de voie : Les leçons du coronavirus (avec la collaboration de Sabah Abouessalam), Paris, Éditions Denoël, 2020[64].
L'entrée dans l'ère écologique, Paris, L'Aube, 2020[65].
Frères d'âme, entretien avec Pierre Rabhi sur des questions de Denis Lafay, Paris, L'Aube, 2021.
↑Catherine Goillau, « L'humanisme selon Edgar Morin », Le Point Références no 64, juillet-août 2016, « La Grèce est ses dieux, une leçon de tolérance ? Les textes fondamentaux », p. 108.
↑Science avec conscience, 1982, Edgar Morin: « le but de la recherche de méthode n’est pas de trouver un principe unitaire de toute connaissance, mais d’indiquer les émergences d’une pensée complexe, qui ne se réduit ni à la science, ni à la philosophie, mais qui permet leur intercommunication en opérant des boucles dialogiques. »
↑voir notamment la trilogie Économie et création collective (Economica, 1977), L'Économie multidimensionnelle (Economica, 1991), et L'Économie, service de la vie : Crise du capitalisme - Une politique de civilisation (Presses universitaires de Grenoble, 1996).
↑Thomas Louis-Vincent, « Morin (Edgar) L'Homme et la mort », Archives de Sciences Sociales des Religions, vol. 43, no 2, , p. 280-283 (lire en ligne)
↑Michel Matarasso, « Morin Edgar, L'esprit du temps. Essai sur la culture de masse », Revue française de sociologie, vol. 4, , p. 80-83 (lire en ligne)
Ali Aït Abdelmalek, Edgar Morin, sociologue de la complexité, Paris, Apogée, 2010, (ISBN978-2-84398--360-3).
Emmanuel Banywesize, Le complexe : Contribution à l'avènement de l'organisaction chez Edgar Morin, Paris, L'Harmattan, 2007.
Françoise Blanchi, Le Fil des idées. Une éco-biographie intellectuelle d'Edgar Morin, Paris, Le Seuil, 2001.
Daniel Bougnoux, Jean-Louis Le Moigne et Serge Proulx [sous la dir. de], Arguments pour une méthode (autour d'Edgar Morin), Paris, Le Seuil, 1990.
Jacques Demorgon, Déjouer l'inhumain. Avec Edgar Morin, Paris, Economica, 2010.
Jean-francois Dortier et Louisa Yousfi, Edgar Morin, l'aventure d'une pensée, , Paris, Sciences Humaines, 2020.
Robin Fortin, Penser avec Edgar Morin : Lire La méthode, Paris, PUF, 2009.
Robin Fortin, Comprendre la complexité. Introduction à la méthode d'Edgar Morin, Laval, Presses de l'Université de Laval, 2005.
Jean Jacob, Edgar Morin : la fabrique d'une pensée et ses réseaux influents, Paris, Golias, 2011.
Emmanuel Lemieux, Edgar Morin, l'indiscipliné, Paris, Le Seuil, 2009 [rééd. en poche, coll. Points, 2020].
François L'Yvonnet [sous la dir. de], Cahier de l'Herne "Edgar Morin", Paris, L'Herne, 2016.
Raymond Matand Makashing, Michel Serres, Hans Jonas, Edgar Morin et l'écologie profonde, Paris, L'Harmattan, 2020.
Edgar Morin, Aux risques d'une pensée libre, Paris, CNRS, 2011.
Edgar Morin, Lephilosophe indiscipliné, Paris, Le Monde, Hors série, juin 2011.
Edgar Morin, L'aventure d'une pensée, Paris, Revue Sciences Humaines, Hors-série, no 18, 2013.
Marius Mukungu Kakangu, Vocabulaire de la complexité: Post-scriptum à La Méthode d'Edgar Morin, Paris, L'Harmattan, 2007.
Auguste Nsonsissa, Transdiscplinarité et transversalité épistémologiques chez Edgar Morin, Paris, L'Harmattan, 2010.
Michaël de Saint-Cheron, Mémoire et Responsabilité : Dialogue avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Edgar Morin, Emmanuel Levinas, Paris, Dervy, 2000.
Valérie Souffron, Edgar Morin : L'homme et la mort : pour une anthropologie de la mort, Paris, Ellipses, 2011.
Jean Tellez, La Pensée tourbillonnante. Introduction à la pensée d'Edgar Morin, Paris, Germina, 2009.
En 2014, L'ESSEC ouvre une chaire « Edgar Morin de la complexité » et propose un MOOC « L'avenir de la décision : connaître et agir en complexité », Mooc qui s'appuie sur des vidéos enregistrées par Edgar Morin pour la présentation des concepts de l'intelligence de la complexité, sur des vidéos de professeurs de l'école et de professionnels reconnus ayant été confrontés à des situations à gérer en complexité.
Dialogues en humanité : Les réformes pour le XXIe siècle selon Edgar Morin, version mars 2010
Journal Le Monde 29/04/2017. Propos recueillis par Nicolas Truong Edgar Morin : « Cette élection est un saut dans l’inconnu » - article : "Dans un entretien au « Monde », le sociologue estime qu’il faut dépasser l’opposition stérile entre mondialisme et nationalisme"